La CGT double la SNCF pour recruter des cheminots

Le manque d’effectifs à la SNCF est unanimement pointé du doigt. La CGT a décidé de passer à l’action pour montrer que recruter efficacement et rapidement est possible.

Vanina Delmas  • 1 juin 2017 abonné·es
La CGT double la SNCF pour recruter des cheminots
photo : La CGT a installé un bureau d'embauche provisoire devant la gare Saint Lazare à Paris, le 1er juin.
© Vanina Delmas

Le parvis de la gare Saint-Lazare, à Paris, ne désemplit pas. Mais à côté des travailleurs qui filent d’un pas pressé vers leur bureau ou leur train, d’autres s’arrêtent devant le stand rouge de la CGT. Pochettes en plastique à la main, ils viennent déposer leurs CV et lettres de motivation dans l’espoir d’être embauché, un jour, à la SNCF. Les syndicalistes comptent bien se substituer aux ressources humaines de l’entreprise de service public. Leur bureau de recrutement éphémère installé depuis 7h30, ne désemplit pas. En trois heures, 56 candidats se sont déjà présentés pour des postes de commerciaux. Certains tentent même de décrocher un emploi saisonnier pour les vacances d’été qui approchent. Sans compter les candidatures par mail reçu avant cette journée. Didier Crepel, secrétaire général du secteur fédéral de Paris Saint-Lazare, explique :

Les usagers ne cessent de se plaindre des retards des trains, de plus en plus de gares sont fermées, mais ces soucis quotidiens viennent en grande partie du manque de personnel.

Si la SNCF lance très régulièrement des campagnes de recrutement comme des « CV dating » ou des forums dans les gares, elle ne cesse de mettre en avant leurs difficultés à recruter et tente de limiter la casse en ayant recours à des CDD ou en sous-traitant, notamment pour les équipements. « Les directions d’établissements affirment qu’ils ne parviennent pas à recruter mais quand on voit le nombre de chômeurs, quand on sait que la plupart des postulants ne reçoivent aucune réponse, ça nous fait bondir d’entendre ça ! poursuit le cheminot. Ici, nous comptons au moins 97 postes vacants, et nous aurions besoin d’une trentaine d’agents de conduite. » Des opérations identiques ont été conduites ces six derniers mois dans d’autres villes comme Agen, Vierzon, Poitiers ou Caen.

© Politis

Pénurie de conducteurs

Transport, équipement, matériel, agent de conduite, commercial, contrôle… Chaque secteur est bien identifié pour pouvoir renseigner ceux qui n’ont pas encore toutes les informations, mais surtout pour faciliter la deuxième phase de l’opération. « Le 8 juin, nous déposerons les candidatures directement sous le nez des RH responsables de chaque métier », explique Laurent, 22 ans de carrière comme conducteur. L’entreprise ferroviaire a annoncé l’embauche de 1000 conducteurs de train en formation en 2017 mais le manque d’agents de conduite reste l’un des points noirs pointés par la CGT. Laurent tient déjà le nom de dix potentiels conducteurs entre les mains, dont Bilel, actuellement étudiant en histoire, qui envisage de changer de voie. « On m’a toujours dit que la SNCF était un bon plan pour avoir un travail stable et c’est un peu un rêve de conduire un train », glisse-t-il avant de s’éclipser. Triste ironie : c’est sa tante, employée aux ressources humaines de la SNCF, qui lui a conseillé de déposer sa candidature via la CGT.

Car la bonne volonté affichée dans les opérations séductions de la SNCF reste souvent de la communication bien rodée. Les syndicalistes ne comptent même plus le nombre de personnes leur annonçant qu’ils n’ont jamais reçu de réponse lors de candidature spontanée. Saman, 30 ans, a fait une pause dans son quotidien de taxi parisien pour venir à ce bureau d’embauche particulier. « J’ai déjà postulé en tant qu’agent de gare et agent commercial il y a trois ou quatre mois, lors d’une campagne de recrutement de la SNCF à la gare mais la réponse a été négative, raconte-t-il. Pourtant j’ai toutes les qualifications et j’ai déjà occupé ces postes-là pour Aéroports de Paris. » Idem pour Christelle qui a déjà été agent commercial en gare via une boîte d’intérim pendant six mois et ne désespère pas d’être embauchée définitivement. « C’était un plaisir de me lever le matin pour aller travailler quand j’y étais, et les horaires en décalé ne me posent pas de souci. J’ai déjà eu trois retours négatifs, mais je ne vais pas m’arrêter là », assure-t-elle.

Contester et agir

Malgré les critiques, les cas de souffrance au travail conduisant parfois au suicide, les condamnations pour discriminations raciales, la SNCF garde son image d’employeur idéal. Peut-être pour le statut de privilégié qu’on lui associe, mais pas seulement. « Les vieux aussi peuvent postuler ? », demande joyeusement Éric aux syndicalistes. On lui explique qu’au delà de 30 ans, ce n’est plus le statut de cheminot qui est attribué mais celui d’« agent contractuel » (c’est-à-dire relevant d’un CDI ou d’un CDD classique). À 50 ans, Éric se fiche du statut. Il veut seulement un job qui lui donne envie. Assistant clientèle dans l’informatique depuis quinze ans, il rêve de finir sa carrière dans l’entreprise ferroviaire. Il raconte sans détours :

Je tente de postuler à la SNCF à peu près tous les cinq ans depuis mes 25 ans car je suis un vrai passionné de train. J’ai déjà postulé par Internet mais je n’ai eu aucun retour et j’ai trouvé le système trop fermé car tu ne peux pas t’expliquer. Il faut rentrer dans une seule case !

Le contact humain est aussi la clef du succès de l’opération de la CGT car les militants prennent le temps de lire le CV, d’écouter les motivations des candidats et surtout, de répondre à leurs questions. « Notre but, c’est de montrer à la SNCF que c’est possible de trouver des gens motivés, que ce n’est pas compliqué d’installer un barnum devant la gare et de discuter avec les gens. Ils sont où les responsables des ressources humaines ? Mais c’est aussi un bon moyen de redorer notre image, montrer que les syndicalistes ne sont pas que dans la contestation mais aussi dans la proposition », lâche Laurent, avant de reprendre son exposé sur la formation des conducteurs de train. Chaque candidat repart avec la certitude que leur dossier sera déposé sur le bureau d’un responsable RH, et avec le devoir d’envoyer un mail aux cégétistes dans un mois pour être sur que la SNCF leur a donné une réponse cette fois-ci.

Travail Économie
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