Législatives : La moitié d’une démocratie

Emmanuel Macron pourra compter sur une majorité pléthorique mais peu légitime, à l’issue d’un scrutin marqué par l’abstention.

Michel Soudais  • 14 juin 2017 abonné·es
Législatives : La moitié d’une démocratie
© photo : Julien Mattia/NurPhoto/AFP

De la victoire au triomphe ? Sans attendre que tous les résultats du premier tour soient déjà connus, instituts de sondage et commentateurs étaient unanimes dimanche soir à prédire un raz-de-marée de députés macronistes à l’Assemblée nationale le 18 juin. L’implacable logique du scrutin uninominal à deux tours et le positionnement central des candidats des mouvements d’Emmanuel Macron et de François Bayrou concourent à rendre cette issue hautement probable après ce premier tour qui a vu les candidats de la République en marche (LREM) virer en tête avec 32,32 %, devançant de près de 11 points ceux de la droite (LR-UDI-DVD), à 21,56 %. Reléguant plus loin encore le Front national (13,2 %), la France insoumise (11,02 %), le Parti socialiste (7,44 %), Europe écologie-Les Verts (3,39 %) et le Parti communiste (2,72 %).

Mais ce succès n’est toutefois acquis que dans un océan d’abstention. Celle-ci atteint 51,29 % contre 42,8 % en 2012. Pour la première fois dans une élection législative, une bonne moitié des électeurs a donc boudé les urnes ou refusé de choisir – les votes blancs et nuls représentent 1,08 % des inscrits. Ce sont ainsi près de 25 millions de Français – auxquels il conviendrait d’ajouter les 11 millions de non-inscrits ou mal-inscrits sur les listes électorales – qui se sont auto-exclus du vote. La faute à la prééminence de l’élection présidentielle en regard de laquelle les législatives sont perçues comme une élection secondaire ? C’est l’explication avancée par des responsables politiques de tous bords. Depuis l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, en 2002, l’abstention a bondi de 17 points, notait ainsi le communiste Pierre Laurent, dimanche soir.

L’explication est toutefois un peu courte. Car si l’élection des députés, quand elle est organisée dans la foulée d’une présidentielle – cela a été le cas en 1981 et en 1988 –, a toujours généré un surcroît d’abstention, la participation électorale aux législatives est sur un toboggan depuis 1993. Elle coïncide avec la conversion des socialistes aux politiques d’accompagnement du libéralisme et de libération de l’économie, conversion qui s’est accélérée avec le traité de Maastricht et son objectif européen d’union économique et monétaire, payé au prix fort par les catégories populaires.

Dans une enquête d’opinion réalisée dimanche par Ipsos et Sopra Steria, les abstentionnistes font surtout part de leur désenchantement à l’égard de la politique. Soit qu’ils disent ne plus croire aux hommes et aux femmes politiques qui les ont trop déçus (30 % des sondés), estiment que le résultat de l’élection quel qu’il soit ne changera rien (18 %), ne sont convaincus par aucun programme (16 %) ou jugent que LREM est assurée de gagner et que leur vote n’y changera rien (9 %). Ils ne sont que 9 % à déclarer ne pas être intéressés par la politique.

Massive, l’abstention n’est pas non plus sociologiquement homogène. Selon cette enquête, elle était deux fois plus importante chez les moins de 35 ans (64 %) que chez les plus de 60 ans (35 %), et plus répandue chez les ouvriers (66 %) et les employés (61 %) que chez les cadres (45 %). Plus forte chez les non-bacheliers (54 %) que chez les titulaires d’un bac + 3 et plus (44 %), et de 17 points plus élevée dans les foyers dont le niveau de revenu est inférieur à 1 250 euros que dans ceux disposant de plus de 3 000 euros. L’abstention dessine ainsi un fossé entre deux France. Cette fracture entre une France non diplômée, de travailleurs pauvres, de précaires et de chômeurs qui se sont abstenus volontairement, et une France de diplômés, vivant bien leur insertion dans une économie mondialisée, qui ont voté, est le symptôme préoccupant d’une crise démocratique qui devrait interroger nos institutions.

Ce sont elles qui permettraient aux mouvements d’Emmanuel Macron et de François Bayrou d’obtenir, selon les projections les plus courantes, entre 400 et 450 députés (sur 577), soit 69 à 78 % des sièges, en ayant rassemblé seulement 32,32 % des suffrages exprimés au premier tour, soit 15,39 % des électeurs inscrits. Notons que jamais dans une élection législative consécutive à une élection présidentielle, depuis 1981, les partis soutenant le Président fraîchement élu n’avaient obtenu l’adhésion d’aussi peu de suffrages exprimés. L’énorme majorité sur laquelle s’appuiera Emmanuel Macron reposera sur un socle étroit. C’est une fragilité qui ne peut que renforcer un sentiment d’injustice électorale, notamment auprès des électeurs du Front national et de la France insoumise, pour lesquels nombre d’électeurs de cette France abstentionniste avaient voté à la présidentielle (40 % à eux deux au premier tour).

LREM ne doit son succès relatif qu’à la faiblesse de ses adversaires, singulièrement les deux grands partis (LR et PS) autour desquels s’organisait depuis près de quarante ans la vie politique du pays. Elle le doit moins à la prétendue modernité d’En marche ! qu’à l’application d’anciennes recettes politiques oubliées par les vieilles formations qu’Emmanuel Macron a prises pour cible. Un mouvement politique, expliquait-il crûment dans un documentaire diffusé dans l’émission « Envoyé spécial » juste après sa victoire, « il est là pour définir une idéologie, enrôler des militants et désigner un chef ».

La principale clé du succès de son mouvement tient sans conteste à cette manière brutale d’envisager la politique, doublée d’un certain opportunisme dans le choix des candidats en fonction du terrain qui donne d’En marche ! l’image d’un parti caméléon : Dans la 3e circonscription de la Gironde, dont Noël Mamère était le député, c’est un adjoint au maire d’Alain Juppé, Marik Fetouh qui a été investi. À Montreuil-Bagnolet, c’est une adjointe au maire communiste Patrice Bessac, venue des Verts, Halima Menoudj. Efficace électoralement, cette sélection devra aussi faire cohabiter demain dans un même groupe des élus d’origines très différentes. Un défi qui peut aussi être une faille.

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