Violences policières : une contre-enquête sur la mort d’Ali Ziri

L’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture publie un rapport concernant le décès du retraité algérien de 69 ans en 2009, lors de son interpellation par les forces de l’ordre. La méthode dite du pliage est une nouvelle fois mise en cause.

Vanina Delmas  • 9 juin 2017 abonné·es
Violences policières : une contre-enquête sur la mort d’Ali Ziri
Photo : Manifestation contre les violences policières en 2014.
© CITIZENSIDE / FRANCOIS PAULETTO

Les enquêtes judiciaires lorsque des policiers sont mis en cause dans un décès sont souvent longues, très longues. La détermination des familles et des associations permet de ne pas les laisser tomber dans l’oubli, et parfois de proposer une contre-enquête précise. C’est le cas de l’affaire Ali Ziri. Le 9 juin 2009, ce retraité algérien de passage en France, passe l’après-midi avec son ami Arezki Kerfali. Après avoir bu, ils prennent la voiture mais sont confrontés à un contrôle routier sur la commune d’Argenteuil (Val-d’Oise). Le conducteur est interpellé par la police pour conduite en état d’ivresse manifeste, et Ali Ziri pour outrage à agent. Ils sont donc menottés et embarqués au commissariat. Durant le trajet, les deux hommes se seraient montrés très agités, obligeant les agents de police à les immobiliser jusqu’à leur arrivée au commissariat. Une fois sur place, ils sont extraits du véhicule par plusieurs agents de police, puis placés allongés et menottés à l’intérieur du commissariat, vomissant tous deux à plusieurs reprises. Deux heures plus tard, un médecin de l’hôpital constate que Ali Ziri est en arrêt cardiaque. Il est placé dans le coma et décède deux jours plus tard.

Aline Daillère, responsable police-justice à l’Acat et auteure du rapport, déclare :

L’examen des pièces du dossier judiciaire révèle une violation flagrante du droit international. Notre rapport questionne non seulement le caractère proportionné de l’usage de la force, mais également le caractère indépendant de l’enquête. Nous avons découvert que, dans ce dossier, une partie conséquente des investigations a été réalisée par le commissariat dans lequel exercent les policiers mis en cause.

Après huit années de procédure judiciaire et deux renvois en cour de Cassation, le non-lieu est confirmé en février 2016. La justice française clôt définitivement l’affaire, estimant que « les agents de police n’avaient fait qu’un usage nécessaire et proportionné de la force et que, les expertises médicales se contredisant, il n’est pas possible de connaître de manière certaine la cause de la mort d’Ali Ziri ». L’affaire est désormais portée devant la Cour européenne des droits de l’homme.

L’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat) a eu accès aux éléments du dossier et a pu reconstituer minute par minute cette soirée, dans un rapport intitulé « Affaire Ali Ziri : autopsie d’une enquête ». Leur principale interrogation tourne autour de la méthode d’immobilisation utilisée par les policiers dans le véhicule, le pliage, qui consiste à incliner une personne qui est assise, en maintenant son thorax compressé contre les genoux, afin de la contenir. Trois questions ont guidé leur analyse : l’enquête judiciaire était-elle suffisamment impartiale et approfondie ? le recours à la force était-il proportionné ? le pliage a-t-il pu causer la mort d’Ali Ziri ?

© Politis
© Politis

Une technique susceptible d’entraîner l’asphyxie

En tout état de cause, malgré les déclarations de membres de l’IGPN et du ministère de l’Intérieur auprès de l’Acat en 2015, cette pratique a été utilisée dans plusieurs cas, sans que cela n’entraîne, à notre connaissance, de sanction des fonctionnaires de police concernés. L’Acat constate ainsi avec préoccupation que la méthode du pliage continue d’être utilisée en France alors même que les autorités ont pleinement conscience, depuis au moins 2003, que cette position est susceptible de provoquer l’asphyxie et d’entraîner la mort.

Beaucoup de questions restent en suspens comme l’heure de la prise en charge des deux amis par l’équipe hospitalière et les soins apportés à Ali Ziri. Mais le rapport de l’ONG pointe surtout des versions différentes concernant le lien de causalité entre l’utilisation de la technique du pliage par les policiers et le décès. Si les policiers ayant procédé à l’interpellation ne la mentionne pas dans leur première version des faits, la vingtaine d’hématomes profonds (jusqu’à 17 cm) relevés sur le corps par les médecins légistes « peuvent coïncider » avec ce geste de maintien. Sur les cinq médecins qui se sont prononcés, deux ont exclu le lien de causalité, les trois autres établissent un « lien potentiel ».

Ces divergences d’opinion reflètent le flou entretenu depuis plus de quinze ans autour de la légalité de cette pratique, que fustigeait déjà l’Acat en mars 2016 dans son rapport « L’ordre et la force ». Au début des années 2000, la dangerosité du pliage est reconnue et cette méthode est même interdite pour les mesures d’éloignement forcé du territoire français, après le décès de deux personnes. Mais la confusion persiste à propos des autres opérations policières.

Le collectif Vérité et justice pour Ali Ziri appelle à un rassemblement sur le lieu de l’interpellation à Argenteuil (Val-d’Oise) samedi 10 juin à 15 heures.

Lire le rapport complet >> Ali Ziri, autopsie d’une enquête