Avignon : Des anti-contes pour le jeune public

Les fées, c’est terminé ! Les propositions de Pierre-Yves Chapalain et Philippe Dorin font appel à la réflexion de l’enfant.

Gilles Costaz  • 12 juillet 2017 abonné·es
Avignon : Des anti-contes pour le jeune public
© photo : Christophe Raynaud de Lage

Ce qu’on appelle le théâtre jeune public intéresse le festival d’Avignon, in et off. Depuis qu’il est à la tête du in, Olivier Py a instauré un volet pour les enfants avec des pièces qui, bien sûr, prennent à contre-pied les stéréotypes du genre. Où sont les ogres ?, de Pierre-Yves Chapalain, a inauguré le cycle de cet été.

Chapalain est un auteur fort intéressant dont l’œuvre fouille l’étrangeté des gens qu’on qualifie à tort d’ordinaires. Avec le thème des ogres, il est à son affaire. Mais il en fait trop. Il y a trop de boucherie ! La pièce est pourtant d’une écriture et d’une imagination stimulantes. Une petite fille a, selon sa mère, un comportement anormal. Elle a des dialogues mystérieux sur Internet. Un médecin vient, et tout rebondit dans un cirque pas très catholique monté dans le village pour faire plaisir à une autre fillette, qui est précisément la fille d’un ogre. Les épisodes suivants propulseront les jeunes héroïnes dans des réfrigérateurs pleins de chair humaine et une forêt mystérieuse…

Oui, il en fait trop, Chapalain. Mais il a un sens du trouble extraordinaire, qu’il communique à des acteurs étonnants : Jean-Louis Coulloc’h, Boutaïna El Fekkak, Julie Lesgages, Catherine Vinatier. La beauté de la pièce est dans son ambiguïté et son amour de notre humanité balancée entre bien et mal, dans sa lumière traversant l’opacité.

Quand Chapalain en dit trop, Dorin n’en dit pas assez, ou plutôt très peu. Philippe Dorin laisse les portes ouvertes et l’on ne sait pas toujours où vont ses histoires sinueuses. C’est ce qui en fait un auteur à part, très estimé. Son œuvre est importante et singulière : au fil du temps, le silence et le secret s’y intensifient.

À Avignon, Dorin parle de son écriture dans une conférence excitante, Dans la vie aussi il y a des longueurs, où il se garde bien de tout dire. En outre, l’une de ses pièces, au titre pas possible, L’hiver, quatre chiens mordent mes pieds et mes mains, fait l’objet d’une subtile mise en scène de Bernard Fournier, au Grenier à sel. Un couple au bout du rouleau s’arrête quelque part dans la neige. L’homme et la femme s’assoient, interrogatifs, perplexes. Ils se marient comme sans l’avoir voulu. Autour d’eux, ils trouvent peu à peu une table bancale et même des enfants.

On est là aussi dans une réinvention du conte mais, au lieu de faire résonner les tabous comme on le fait depuis cinquante ans dans le sillage des psys, Dorin ajoute son propre non-dit et les sonorités du monde moderne (avec une chanson de Johnny Cash !). Les acteurs, Denis Monjanel et Sandrine Monceau, sont idéalement complexes dans cette énigme qui va s’éclaircissant.

L’actuel théâtre jeune public, sous ses formes opposées, exige de l’enfant une grande réflexion. Les fées ne lui viennent plus en aide !

Où sont les ogres ?, créé à Avignon, en tournée la saison prochaine. Texte aux Solitaires intempestifs.

L’hiver, quatre chiens…, Grenier à sel, 10 h, jusqu’au 27 juillet.

Dans la vie aussi il y a des longueurs, La Parenthèse, 17 h, du 15 au 21 juillet.

Théâtre
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