Avignon : Molière rouge sang

L’auteur de Tartuffe sous le regard furieux de Frank Castorf.

Gilles Costaz  • 12 juillet 2017 abonné·es
Avignon : Molière rouge sang
© PHOTO : Christophe Raynaud de Lage

Frank Castorf, dans un festival, c’est l’éléphant dans un magasin de porcelaines : le spectacle est toujours massif et truffé de déclarations tempétueuses. Cette année, il apporte de Berlin (en langue allemande surtitrée) un orage théâtral créé en mai. Il a adapté de manière très libre Le Roman de monsieur de Molière, de Boulgakov, sous le titre La Cabale des dévots, et noue dans un feuilleton à cheval sur plusieurs siècles le combat de Molière au moment de Tartuffe, la lutte de Boulgakov se projetant dans l’image et le mythe de Molière, les fureurs de Fassbinder tournant Prenez garde à la sainte putain et sa propre expérience, à lui, Castorf, non reconduit l’an dernier à la tête du théâtre de la Volksbühne.

Ajoutez des extraits de pièces de Molière, de Racine, de Corneille et des propos tirant à hue et à dia : cela donne un spectacle monstrueux par la durée (près de six heures) et par son mélange de théâtre à l’ancienne et d’utilisation forcenée de l’image de cinéma.

La vaste scène de sable abrite en son centre une sorte de chariot qui tient des « machines » comme on en fabriquait à la cour de Versailles et, en d’autres points, quelques aires de jeu sur roulettes. Mais l’espace n’est pas encombré : on y voit beaucoup les comédiens courir, effectuant de véritables sprints sur des centaines de mètres. Tout ce qui apparaît sur l’écran central est filmé en direct, dévoilant ce qu’on ne voit généralement pas ou que l’on aperçoit de façon lointaine ou fragmentaire dans les castelets régulièrement déplacés sur l’aire de jeu.

C’est l’histoire de Molière qui domine, malgré tout ce qui concerne le monde d’aujourd’hui. Cette histoire est réécrite dans une fantaisie pamphlétaire : Louis XIV fume comme un pompier, les filles sont toutes en girls largement dévêtues (sauf quand elles jouent des rôles d’homme) – ce qui est quand même sacrément machiste. Molière meurt plusieurs fois devant nous et finit par s’exprimer couvert de sang.

La santé et la mobilité des acteurs, Alexander Scheer, Jeanne Balibar (qui joue Madeleine Béjart), Georg Friedrich, Jean-Damien Barbin et Lars Rudolph, sont stupéfiantes.

Quelques moments paraissent superflus, certains sont même un peu stupides dans leur volonté de provocation rigolarde. C’est bien long, tout en zigzag et en incises, avec un sens du désordre très appliqué. Mais c’est un torrent qui nous emporte, avec, dans ses eaux noires et rouges, une réflexion de haut vol sur le théâtre et sur l’histoire.

Die Kabale der Scheinheiligen, das Leben des Herrn de Molière, du 8 au 13 juillet au parc des Expositions.

Théâtre
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