Le sentier, ça marche

Les randonnées à thèmes se multiplient. Valorisation du patrimoine ou filon commercial ? La frontière est parfois étroite.

Patrick Piro  • 26 juillet 2017 abonné·es
Le sentier, ça marche
© photo : JEAN-DIDIER RISLER / ONLYFRANCE.F / ONLY FRANCE

S ite officiel du chemin Urbain V ® » : dès la première ligne de la page d’accueil, on est édifié. Le pictogramme ®, c’est pour « registered trademark » : le nom du chemin est une marque commerciale déposée. Qui est Urbain V ? Ce n’est pas affiché directement, il faut aller chercher dans « tourisme spirituel » : un pape cévenol sacré en 1362 à Avignon, alors siège de l’Église catholique, dans la région des Causses, persillée de vestiges de l’œuvre de religieux. C’est presque secondaire pour les promoteurs, qui encouragent d’abord à participer au concours photo, à personnaliser son itinéraire et à télécharger l’appli « Chemin Urbain V ».

Sur le trajet, qui emprunte plusieurs GR, des hébergements sont « réservés à nos adhérents ». Expérience déprimante pour Sylvie et Gaspard, jeunes fermiers qui pratiquent l’accueil rural en Lozère : « Rien à voir avec les marcheurs que l’on connaissait. Ils sont là pour consommer un service, n’ont pas envie d’échanger et râlent parce que les chambres sont sommaires. » Une malle postale transporte d’étape en étape les bagages des pèlerins qui le souhaitent. À quelques dizaines de kilomètres, Clara éprouve aussi la mutation, dans son gîte perché. « Nous sommes un peu à l’écart du Chemin de Stevenson, il nous a piqué une bonne partie de notre clientèle. » À l’inverse, la popularité de ce grand classique cévenol est une bénédiction pour les villages qu’il traverse. Les petits commerces alimentaires se maintiennent, et l’activité autour avec. « Si les collectivités investissent beaucoup dans les sentiers à thème, c’est que ça rapporte », commente Robert Azaïs, président de la Fédération française de randonnée pédestre. Autour d’un terroir, ils valorisent des « routes du vin », des producteurs d’ail rose, etc. Et l’on randonne, en France : il s’y vend près de 5 millions de paires de chaussures de marche par an.

Noblesse oblige, sur le Chemin de Compostelle, le business prend des proportions parfois agressives. On jalouse les villages dépositaires du fameux logo en coquille Saint-Jacques, qui captent chaque année le flux de milliers de clients-marcheurs. « Le tronçon espagnol en devient désagréable, témoigne Christine. Tout est bon pour faire du commerce avec les pèlerins. »

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