Sans le latin, sans le latin, l’école nous emmerde…

Avec un titre à faire faire l’école buissonnière, Isabelle Dignicourt livre un témoignage sincère sur vingt-cinq ans de carrière à l’Éducation nationale. Une machine qu’elle veut encore sauver.

Ingrid Merckx  • 28 juillet 2017
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Sans le latin, sans le latin, l’école nous emmerde…
© photo : FREDERICK FLORIN / AFP

Quarante-sept ans. Dont quarante-cinq passés à l’école. Ce qu’il y a de rassurant dans ce témoignage, c’est qu’il bat en brèche le fameux « turn over des professeurs ». Au moins, Isabelle Dignicourt est restée enseignante au sein de l’Éducation nationale. Prof de lettres classiques de surcroît ! C’est bien que quelque chose l’y a retenue. Et c’est ce quelque chose qu’elle tente de cerner dans cet ouvrage au titre anxiogène : L’Éducation nationale, une machine à broyer.

Plus que l’école, c’est l’institution qui est visée. Celle capable d’embaucher en 2016, en pleine crise de recrutement, des remplaçants via Le Bon coin. Nouveau ? Pas tant que ça, selon cette enseignante qui relate qu’elle a été freinée dans sa vocation bien avant de mettre le pied dans une classe quand, étudiante en Capes, elle s’était proposée comme remplaçante et qu’on lui avait demandé, en guise de gage de sa motivation, si elle était « mobile ». C’est-à-dire capable de se déplacer en voiture aux quatre coins de l’académie. « Comment pouvait-on envisager de me confier des enfants sur la simple production d’un casier judiciaire vierge, de photocopies de titres universitaires et de cases cochées sur un dossier administratif ? »

C’était en 1991, la situation ne s’est pas améliorée. Cette histoire, tout le monde la connaît plus ou moins, s’en émeut plus ou moins, fait avec, surtout. Isabelle Dignicourt, fille d’ouvrier ayant appris le latin à l’école du peuple, raconte vingt-cinq ans de carrière et treize ministres, de la loi d’orientation de 1989 au mouvement pour la défense des langues anciennes consécutif à la réforme du collège en 2015-2016. Comme Jean-Michel Blanquer, l’actuel ministre en charge, elle pourfend l’égalitarisme.

Comme nombre de ses collègues, elle défend pratiquer l’interdisciplinarité depuis ses débuts. Comme certains, elle accuse Najat Vallaud-Belkacem, l’ancienne ministre de l’Éducation nationale, de priver les élèves, et ses jumeaux qui rentrent au collège, « de l’exigence et de l’excellence » dont ses filles aînées ont bénéficié. Elle s’en explique dans une lettre qui a été envoyée à la ministre de l’époque. Et elle a cofondé le collectif Condorcet pour la défense des lettres classiques.

Macroniste ? Isabelle Dignicourt dit qu’elle est traitée de « conservatrice » par les « termites pédagogistes », suivez son regard… Voire de « facho ». Ce dont elle témoigne, c’est surtout du grand désarroi de professionnels qui voudraient bien faire sans en avoir les moyens, ont le sentiment de défendre des valeurs désuètes ou démonétisées et des savoirs négligés. C’est aussi du manque d’écoute des ministères et de la volonté de voir se tenir en lieu et place d’empilement de réformes, des États généraux de l’Éducation. Le retour des classes européennes et bilangues devrait lui sourire. Les réformes successives qu’elle a subies et fait subir ayant échoué à la broyer.

L’Éducation nationale, une machine à broyer. Comment sauver nos enfants ? Éditions du Rocher, 222 p., 18,90 euros.

© Politis

Idées
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