Sport : Les femmes, trop souvent sur la touche

Malgré une évolution récente, le sport féminin peine encore à se professionnaliser. En cause, la frilosité des sponsors et des clichés qui ont la vie dure.

Malika Butzbach  • 26 juillet 2017 abonné·es
Sport : Les femmes, trop souvent sur la touche
© photo : SYLVAIN THOMAS/AFP

À la 84e minute de jeu, une clameur s’élève dans le stade de Willem-II à Tilburg (Pays-Bas) : l’attaquante Eugénie Le Sommer vient de sauver les Bleues en réussissant son penalty face à l’Islande. La France remporte son premier match de poule de la compétition européenne 2017 sous les applaudissements des quelque 4,3 millions de téléspectateurs qui regardent la diffusion sur France 2. Il semble loin le temps des « grosses dondons qui étaient certainement trop moches pour aller en boîte le samedi soir », comme les avait grossièrement appelées en 2013 le journaliste sportif Pierre Ménès.

Pourtant, les inégalités de traitement entre sportifs et sportives perdurent et, lorsque l’on regarde les différences de salaires, elles sautent aux yeux. Dans le classement Forbes des cent sportifs les mieux payés en 2017, le nom d’une seule femme, la joueuse de tennis Serena Williams, apparaît. Il y a moins de cinq ans, les Bleues gagnaient entre 1 500 et 2 000 euros par mois, tandis que les footballeurs qui évoluaient en Ligue 1 touchaient, eux, un salaire mensuel moyen de 42 000 euros. « On a de la chance dans le foot : depuis 2009, il y a une évolution positive », nuance la joueuse Camille Abily. Et pour cause, à cette date, les footballeuses ont pu bénéficier de contrats professionnels et être rémunérées pour leur activité sportive. Un avantage de taille qui leur permet d’arrêter les journées marathon à jongler entre travail et entraînement. Mais ce statut n’est pas la norme dans d’autres sports, comme le rugby, où les joueuses sont sous contrats semi–professionnels. En matière de revenus, « il y a toujours une inégalité générale, mais elle est plus liée à la structure, explique Camille Abily. Comme les hommes, on touche 30 % de l’argent du sponsoring, mais on a moins de sponsors, donc moins d’argent ».

Effectivement, les clubs féminins dépendent davantage des subventions publiques, qui diminuent, et peinent à trouver des investisseurs privés. En 2012, seulement 3 % des fonds investis par les cent plus gros sponsors français concernaient les équipes féminines ou des joueuses.

« Le sport féminin est encore victime de représentations sexistes », relève la sociologue et ancienne présidente du club de handball d’Ivry Béatrice Barbusse. « On pense qu’il n’a pas d’avenir, que personne ne s’y intéresse, et donc qu’investir dedans ne vaut pas le coup. Les mentalités évoluent, mais très lentement. » La preuve, Alexandra Pertus, ancienne joueuse de l’équipe de France de rugby, a créé avec sa camarade Laura Di Muzio l’entreprise LJA, qui accompagne les sportives et leur recherche de sponsors. « Lorsqu’on jouait en national, on a eu du mal à tout gérer entre le rugby et les études, puis le travail, témoigne Alexandra. Si on a monté cette société, c’est pour aider les sportives, leur dégager du temps et de l’argent pour qu’elles puissent se préparer dans les meilleures conditions. » Elle remarque cependant que les sponsors demandent plus aux femmes qu’à leurs homologues masculins en termes d’image ou de publicité. « Certaines entreprises ont aussi une réticence à parrainer les joueuses de rugby, peut-être à cause du manque de notoriété de ce sport. »

Pourtant, lors des diffusions des compétitions féminines, les chiffres d’audience sont loin d’être une déception. Lors de la dernière Coupe du monde, en 2015, les matchs des Bleues, diffusés sur W9, ont réuni plus de 2,5 millions de supporters. Ce record vient d’être battu par le match France-Islande, qui a attiré 16,6 % des parts d’audience. Cependant, et malgré ces résultats, les joueuses passent systématiquement au second plan, derrière les compétitions masculines.

Pour l’anthropologue Anne Saouter, auteure de Du sport et des femmes [^1], « on a du mal à voir le corps féminin comme un corps sportif, car nous sommes prisonniers du modèle masculin, qui apparaît comme traditionnel. On ne parle jamais des sportives comme l’on parle des sportifs. Il y a l’idée que les femmes ne peuvent pas faire le même sport que les hommes. » De même, les commentateurs et amateurs de sport louent plus généralement les capacités stratégiques des joueuses contre la force physique brute des joueurs : on parle volontiers du jeu des Bleues comme d’un jeu agréable à regarder, avec un ballon qui circule, tandis que chez leurs homologues masculins on met en avant les performances. D’ailleurs, lorsque celles des femmes deviennent impressionnantes et se rapprochent de celles des hommes, les joueuses subissent un procès en virilisation. Il arrive même qu’on s’interroge sur leur sexe, comme ce fut le cas, en 2009, de l’athlète sud-africaine Caster Semenya, à qui l’on a imposé des tests de féminité. Une procédure remise actuellement en cause mais qui n’a jamais eu d’équivalent pour les hommes.

Catherine Louveau, sociologue et professeure en sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) à l’université Paris-Sud, analyse ces inégalités : « Hommes et femmes sont différents, mais ces différences – entre autres morphologiques – sont pensées et incorporées comme une infériorité naturelle, alors qu’il s’agit d’une construction culturelle, sociale, alimentant les représentations ; c’est sur ces différences naturalisées que se sont ancrées, socialement et politiquement, les inégalités et les discriminations [^2]_. »_

Un constat partagé par Béatrice Barbusse, pour qui « le frein à la présence des femmes dans la sphère sportive est d’ordre socio-culturel : il s’agit d’un problème de mentalités ». Et ces inégalités et discriminations vont au-delà du terrain.Dans son livre Du sexisme dans le sport [^3], tiré de son expérience à la tête de l’US Ivry Handball de 2007 à 2012, elle raconte son quotidien, des remarques sexistes de ses collègues aux personnes extérieures qui l’ont prise pour « la femme du président », ne pouvant imaginer qu’une femme puisse présider un club sportif.

Selon les sports, le taux de présidentes de club varie de 15 % (pour le basket) à 25 % (volley-ball ou football). Pour pallier la sous-féminisation des instances de direction, les politiques ont commencé à mettre en œuvre des mesures volontaristes. La loi d’août 2014 relative à l’égalité réelle entre hommes et femme impose pour les fédérations une représentation des femmes et des hommes au moins égale à 40 % dans leurs instances dirigeantes lorsque leur proportion est supérieure ou égale à 25% des licenciés.

Comme ce fut le cas en politique, la question des quotas divise. « J’étais contre avant, mais j’ai évolué, témoigne Béatrice Barbusse. Notamment parce que j’ai compris que ce n’était pas quelque chose de naturel d’offrir un poste à responsabilité à une femme. »

Le constat est le même pour les postes d’arbitre et d’entraîneur : le cas d’Helena Costa, en 2014, a marqué les esprits. Première femme nommée pour entraîner des footballeurs professionnels au club de Clermont-Ferrand (en ligue 2), la Portugaise avait démissionné à grand fracas, dénonçant « le manque de respect » du club à son égard. Mais les premières fois se multiplient : Corinne Diacre, ancienne footballeuse internationale, a pris les rênes du Clermont foot 63.

Cependant, des points noirs demeurent, et, parmi eux, la question de l’arbitrage. L’image d’une femme arbitrant une compétition d’hommes reste extrêmement marginale, témoigne Charlotte Girard, qui arbitre de nombreux matchs de hockey sur glace. « La figure de l’arbitre est déjà compliquée, alors, lorsqu’on est une femme dans un sport avec des hommes, on cumule les handicaps. Il y a un plafond de verre : c’est un poste à responsabilité et à décision que l’on attribue rarement à des femmes. » Les chiffres sont parlants : les femmes représentent 25,2 % des arbitres en 2016. Ce chiffre descend à 17,57 % dans le sport de haut niveau. « Je n’ai jamais arbitré la finale de la Coupe de France, pourtant je le fais toute l’année avec les mêmes équipes, donc j’en ai la capacité, réagit Charlotte Girard. Mais une arbitre pour la finale à Bercy devant plus de 10 000 personnes, ça ne convient pas à l’image. »

Le sport, comme la société, laisse trop souvent les femmes sur le banc de touche. Pourtant, les associations féministes se sont peu intéressées à ces questions et n’ont pas réellement investi le domaine du sport.Inversement, « les sportives se présentent rarement comme féministes en faisant de leur parcours un combat collectif », remarque Anne Saouter. L’anthropologue regrette ce manque, d’autant que le sport apparaît comme un vecteur d’émancipation. De nombreux récits de sportives montrent à quel point le sport les a aidées à s’affirmer, que ce soit au sein de leur famille ou dans la société. « On parle de performances différentes selon le sexe dans les compétitions, mais aussi dans le domaine professionnel, souligne Anne Saouter. Mettre fin à cette idée que les femmes sont “moins bonnes” que les hommes dans le sport permettrait de faire évoluer les mentalités dans une sphère bien plus large. »

[1] Éditions Payot, 2016.

[2] La Revue du projet, n° 18, juin 2012.

[3] Éditions Anamosa, 2016.

Société
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