Un salariat sans subordination ?

L’autonomisation des salariés, un facteur d’efficacité économique.

Thomas Coutrot  • 26 juillet 2017 abonné·es
Un salariat sans subordination ?
© photo : AMELIE-BENOIST / BSIP / AFP

Dans Le Monde Diplomatique de juillet, Danièle Linhart propose de réfléchir à la perspective d’un salariat sans subordination. Idée stimulante, si l’on admet que l’obéissance dans le travail est une source non seulement de souffrance mentale – quand il n’est plus possible de faire un travail qui ait du sens – mais aussi de passivité démocratique. Il est difficile pour un salarié soumis toute la journée, année après année, à l’arbitraire d’un patron de devenir un citoyen actif.

Il n’existe sans doute pas de modèle à suivre, comme l’indique Danièle Linhart, mais certaines expériences donnent à penser. Aux Pays-Bas comme partout, les services de soins à domicile ont subi une standardisation absurde : une intraveineuse, c’est dix minutes ; une toilette, quinze minutes ; un pansement, dix minutes… Pour permettre un suivi permanent de leur performance, les infirmières flashent après chaque visite le code-barres de l’étiquette collée sur la porte du patient et celui du produit administré.

En 2006, un infirmier exaspéré et créatif, Jos De Blok, crée une nouvelle entreprise, Buurtzorg, organisée sur la base d’équipes autonomes responsables d’une zone géographique. En quelques années, de 2006 à 2016, Buurtzorg a littéralement vampirisé le secteur des soins à domicile, passant de dix à dix mille infirmières, soit les trois quarts de ce type de personnel aux Pays-Bas.

Le secret de ce succès fulgurant ? Les équipes autonomes : dix à douze infirmières suivent cinquante patients dans un quartier, en prenant ensemble toutes les décisions concernant leur travail. En outre, les infirmières de Buurtzorg cherchent à rendre leurs patients autonomes en constituant des réseaux solidaires de proximité : elles sonnent aux portes des voisins d’une patiente pour leur demander s’ils seraient d’accord pour aider la vieille dame d’à côté, et organisent la coopération bénévole.

Le travail collaboratif au sein des équipes permet de garantir une qualité de soins constante, les infirmières se remplaçant mutuellement en cas d’absence. Un Intranet performant fournit aux salariées toutes les ressources nécessaires (horaires, formations, évaluation du travail…) et sert d’agora à Jos de Blok et aux infirmières pour soumettre de nouveaux projets au débat interne. Buurtzorg pousse très loin la décentralisation des décisions : ni DRH, ni direction financière, ni direction des achats. Le siège social est réduit à une cinquantaine de personnes.

Comme souvent avec les équipes autonomes, l’efficacité économique est au rendez-vous, et au-delà : la durée des soins est réduite de moitié, et les hospitalisations en urgence d’un tiers, selon une étude du cabinet de consultants Ernst & Young. Buurtzorg permet de réduire en moyenne de 40 % le temps passé auprès de chaque patient, alors même que les infirmières prennent tout le temps nécessaire pour créer de la convivialité avec les patients et leur entourage familial ou résidentiel. Mais c’est précisément grâce à cela que les malades reprennent goût à la vie et deviennent plus autonomes.

En France, l’association Soignons humain souhaite implanter le modèle Buurtzorg : une première expérience sera lancée à Lille fin 2017. Une idée à bien soigner ?

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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