La France insoumise veut prendre la tête du cortège

La rentrée sociale est un enjeu crucial pour la France insoumise. Elle va déterminer durablement sa place dans l’opposition au gouvernement, acter son réel poids populaire et influer sur la nature de son organisation.

Nadia Sweeny  • 30 août 2017 abonné·es
La France insoumise veut prendre la tête du cortège
© photo : Georges ROBERT/Citizenside/AFP

Contre « le coup d’État social », « assez de bavardages, du combat ! », a clamé Jean-Luc Mélenchon sous le soleil marseillais ce 27 août. « La meilleure forteresse des tyrans est l’inertie des peuples, alors battez-vous ! », a sommé le député local à la foule. Au cœur du vieux quartier marseillais du Panier, les insoumis ont accueilli avec enthousiasme ce message clôturant trois jours particulièrement denses. Le mouvement, né en février 2016, organisait sa première université d’été : les « Amfis ». Du 24 au 27 août, entre les vieux bâtiments de l’université d’Aix-Marseille, 3 000 insoumis venus des quatre coins de la France ont déambulé des barnums aux amphithéâtres universitaires, en quête de rencontres militantes, d’émulsions intellectuelles et de débats. Sur une chanson originale, « Le monde est à nous », jouée à la guitare par un militant, on y croisait une population éclectique. Des convaincus, des fans – l’un portait un tatouage de « Jean-Luc » sur le bras –, des curieux, des studieux, des anciens, des jeunes… venus écouter les 104 intervenants au cours de 35 conférences et de 41 ateliers de formation proposés. Code du travail et ordonnances, état d’urgence, analyse des discours d’Emmanuel Macron, formation sur l’écologie politique, l’écriture de la loi, l’implication citoyenne, les lobbys, les quartiers populaires, la mondialisation, les médias… Les insoumis se sont regonflés à bloc pour la rentrée. « On produit de la pensée de manière politique, intellectuelle et collective, explique Charlotte Girard, porte-parole de la France insoumise (FI) et co-responsable du programme l’Avenir en commun. C’est une grande tradition des partis de gauche que nombre d’entre eux ont oubliée. »

Au détour d’une buvette, François Ruffin, tenant sa fille d’un bras et brandissant le journal Fakir de l’autre, harangue la foule : « Le seul journal directement diffusé du producteur au lecteur ! » Les insoumis se massent sous la chaleur d’une fin d’été ensoleillée avant l’heure de la prochaine conférence. Le grand amphithéâtre de l’université est plein à craquer. Bravant la chaleur, la foule est venue écouter Chantal Mouffe, philosophe insoumise, et le réalisateur de Merci patron ! parler populisme de gauche. La première pour la théorie, l’autre pour la pratique. Dans l’attente, le poing levé vers le ciel, les insoumis chantent « L’Internationale » à l’unisson. _« On est nombreux à se demander pourquoi les communistes ne sont pas avec nous, chuchote Agathe, 33 ans, insoumise de Villeurbanne, en région lyonnaise. Je suppose que ce sont des histoires “là-haut”, mais c’est dommage parce que, dans le fond, on partage les mêmes idées… » Au même moment, à l’autre bout de la France, le Parti communiste vit, de son côté, son université d’été. « La direction du PCF nous a fait parvenir une demande de délégation pour leur rendre visite, la veille du début de notre université d’été, c’était trop tard, argumente Charlotte Girard. Certes, la direction n’est pas là, mais il y a de nombreux communistes ici et on sait qu’ils seront là dans les luttes le 12 et le 23 septembre. » Si les cadres de la France insoumise seront présents le 12 septembre à l’appel des organisations syndicales, ils entendent bien faire battre le pavé au « peuple » le 23 du même mois. Non par concurrence, promettent-ils, mais par « complémentarité ». Arguant que les syndicats s’adressent principalement aux salariés, la France insoumise propose une journée de mobilisation un samedi, afin de permettre au plus grand nombre de se déplacer. Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon veut élargir le spectre de la mobilisation et en devenir la principale voix politique. « Le 23 septembre n’est pas la propriété de la FI, assure Adrien Quatennens, jeune député de 27 ans. Nous appelons les autres organisations et partis à nous rejoindre. Nous avons besoin de créer les conditions de discussions, de ponts, dans les batailles sociales à venir. » Un appel à converger, mais sous la houlette de la FI… Le PCF, lui, semble traîner les pieds : depuis que la date est connue – début juillet – Pierre Laurent ne s’est pas prononcé sur la participation de son parti à la manifestation du 23 septembre.

Il faut dire que pour la FI, cette rentrée sociale est un enjeu de taille. Certes, il s’agit d’imposer un rapport de force au gouvernement et à son projet de détricotage du code du travail. Mais c’est aussi le moment de tester sa puissance de mobilisation populaire à un moment crucial de sa construction : la convention nationale de la France insoumise, chargée de tracer les contours d’une organisation pérenne, se tiendra à la fin de l’automne. « Plus la mobilisation contre le “coup d’État social” sera forte, plus les citoyens mobilisés chercheront des outils pour aller plus loin et transformer le champ politique, explique Manuel Bompard, ancien directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon. Et plus la France insoumise sera en capacité d’être une force d’impulsion, de pédagogie et de mobilisation, plus ça renforcera la mobilisation sociale de manière générale : il y a un lien très étroit. »

À la rentrée, c’est non seulement la place de tête de l’opposition qui est en jeu, mais aussi l’avenir de la France insoumise et sa capacité à fédérer au-delà des partis. Elle a déjà pris de l’avance sur ses « concurrents » avec la médiatisation des débats parlementaires et la montée en puissances de certains de ses députés, tels Adrien Quattenens ou encore François Ruffin. « L’activité de notre groupe est très remarquée sur les canaux de communication qu’on a imposés pendant la présidentielle. Même après les élections, le mouvement a le vent en poupe », se félicite Manuel Bompard. Mais maintenant, il s’agit de conforter cette avance dans la rue. « La réussite de la mobilisation sociale se verra dans l’hétérogénéité des gens mobilisés, analyse Chantal Mouffe. L’enjeu principal, à mes yeux, c’est la jeunesse. Nous devons nous inspirer de ce qu’a fait Momentum en Grande-Bretagne [réseau hors partis de soutien à Jeremy Corbyn, NDLR]_. »_ Avec 30 % des votes des 18-24 ans, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon se définit comme « le parti des jeunes » et compte bien s’appuyer sur cette force de frappe sociale. « La jeunesse, c’est la force de la France insoumise, si on la perd, on perd tout », confirme Sarah Soilihi, sportive et candidate malheureuse aux législatives de Marseille. Mais tout est à construire. La boxeuse de 25 ans semble avoir pris en main l’organisation d’une sorte de réseau qui « ne sera jamais ce qu’est le Mouvement des jeunes socialistes [MJS] » mais s’apparenterait plutôt à un outil d’« interconnexions ». « Nous voulons faire remonter les expériences et surtout permettre un débat ouvert et libre sur toutes les thématiques qui concernent la jeunesse », explique-t-elle. Pour Éric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis, « il ne faut pas isoler la jeunesse du reste du mouvement, discuter autour d’un livret thématique me semble suffisant ». Pour le moment, la question d’une structure spécifique à la jeunesse n’est donc pas tranchée, en revanche, il y aura bien « un cortège de “jeunes insoumis” pour la manifestation du 23 septembre », clame Sarah Soilihi. « La jeunesse ne fait pas tout, prévient cependant Adrien Quatennens, mais elle est la première visée par la politique gouvernementale : l’augmentation du coût de la vie étudiante est trois fois supérieure à celle du reste de la population et un quart des 18-24 ans vit sous le seuil de pauvreté. » Ils ont donc toutes les raisons de descendre dans la rue… et de faire du bruit.

Mais, en parallèle, les jeunes insoumis sont très clairs sur ce qu’ils attendent de la FI : « On veut retrouver, au sein de cette organisation, la mise en application des propositions du programme, affirme Nicolas, 19 ans. On attend une structuration qui permette de garantir des cadres de débats démocratiques qui se maintiennent dans le temps, avec une réelle horizontalité », renchérit cet ancien membre du MJS, venu à la France insoumise avec d’anciens camarades, dégoûtés par leur expérience du quinquennat de François Hollande. « On a passé notre temps à manifester contre un gouvernement socialiste !, appuie Raphaël, 18 ans, qui n’en revient toujours pas. D’autant que plus la mobilisation s’intensifiait, plus le MJS s’effaçait : il n’a pas assez de distance avec le PS… » Au sein de la France insoumise, le terme d’« auto-organisation » revient sans cesse. Pour autant, la question de la discipline et de l’homogénéité y est aussi omniprésente… pour structurer l’organisation, il va falloir trancher. « Nous devons trouver un équilibre entre discipline et capacité d’agir ; imaginer une forme d’organisation tout en souplesse, explique Charlotte Girard. Il faut rester dans le débat, être en mouvement permanent, en élaboration perpétuelle. La raison d’être de ce mouvement, c’est la vitalité, mais nous cherchons encore des réponses. » La mobilisation sociale de cette rentrée en livrera quelques-unes.

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