Après Irma, reconstruire durablement

Il faut investir dans des structures solides et la transition écologique pour ne pas léser davantage les plus vulnérables.

Vanina Delmas  • 13 septembre 2017 abonné·es
Après Irma, reconstruire durablement
© photo : Martin BUREAU/AFP

Des débris de maison et d’école. Des bateaux et des voitures renversés. Des arbres couchés sur les routes. Des rues inondées… Que ce soit dans les Antilles, à Cuba ou sur la côte Est des États-Unis, les paysages de désolation reflètent l’intensité de l’ouragan Irma, classé catégorie 5, dont les rafales ont dépassé les 300 km/h. Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, a déclaré que 95 % des habitations de l’île de Saint-Martin avaient été touchées. Les pertes humaines sont lourdes : au moins dix morts dans les îles françaises, idem à Cuba, quatre morts dans les îles Vierges américaines…

Le traumatisme psychologique est important, mais il faut réagir, et bien. « Deux réponses doivent être concomitantes, explique Olivier Routeau, responsable des urgences et du développement pour Première Urgence internationale. D’abord, la manière dont on anticipe la catastrophe, en étant prêts à gérer la sécurité des équipes sur place et la mobilisation des moyens. Ensuite, il faut réagir dès que le cyclone se produit en déployant des dispositifs d’évaluation et répondre aux besoins vitaux des populations : boire, manger, dormir, être soignés, sans oublier le suivi psychologique. »

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À Saint-Barthélémy, il n’y a pas de source d’eau potable, donc il faut passer par les usines de dessalement. Celle située en bord de mer a été endommagée, et l’autre ne peut fonctionner sans électricité. Pour Émilie Martin, responsable des urgences à l’ONG Care France, les principaux risques pour les populations sont sanitaires : « Le nord d’Haïti est totalement inondé, les énormes vagues sont entrées dans les terres cubaines, submergeant les rues, donc le risque de propagation de maladie comme le choléra est important. Il faut en priorité rétablir les systèmes d’assainissement pour que les populations aient de l’eau potable, puis déblayer les routes, faciliter les accès pour nettoyer, car la population commence déjà à quitter les abris provisoires pour retourner chez elle. »

Même si l’électricité est encore coupée, que le fioul est rationné, que les relais de télécommunications sont encore hors service, que les hôpitaux fonctionnent au ralenti, la phase de reconstruction s’amorce déjà. Elle est décisive pour la sécurité des populations, mais ne prend pas toujours en compte la vision sur le long terme, et des pays comme Haïti s’enlisent dans des années de reconstruction. « On a tendance à penser la reconstruction en externe, depuis un bureau. Une réponse d’urgence va s’imposer, si possible rapide et pas chère. Mais, pour le long terme, il faut prendre en compte les populations et leur adaptation à la situation. Certains, par exemple, ne voudront pas reconstruire leur maison à l’endroit initial où ils vivaient », indique Olivier Routeau. Forte de son expérience à Haïti, l’ONG Care France cherche à former des maçons et des ouvriers du pays à des techniques de construction plus efficaces, comme bien arrimer la toiture et la charpente, enterrer les poteaux sous terre…

Une question d’intérêt public, de dignité humaine et d’équité. « D’un point de vue humain, tout le monde est touché au même niveau. Mais la question des inégalités sociales se pose au moment des indemnisations, analyse Olivier Routeau. Il y a ceux qui ont leur résidence principale ou secondaire dévastée, qui seront remboursés, et il y a ceux qui sont exclus de ces dispositifs-là. Eux vont subir la double peine. Il ne faut pas qu’il y ait d’oubliés. » En effet, Emmanuel Macron a déclaré l’état de catastrophe naturelle, et les assureurs ont levé le délai de dix jours pour faire sa déclaration de sinistre. Mais une grande partie des victimes de ce genre de catastrophes liées au changement climatique sont bien souvent hors de ces normes économiques.

Dans un rapport publié en 2015, intitulé Inégalités extrêmes et émissions de CO2, l’ONG Oxfam indique que les 3,5 milliards de personnes les plus pauvres sur la planète sont responsables de seulement 10 % des émissions totales dues à la consommation individuelle, mais vivent, pour la grande majorité, dans les pays les plus vulnérables au changement climatique. Le rapport cite l’exemple de la tempête Sandy en 2012 : « Quand elle s’est abattue sur New York, 33 % des personnes vivant dans les zones frappées habitaient dans des logements subventionnés par le gouvernement, et la moitié des 40 000 personnes vivant dans un logement social ont été déplacées. »

Le bilan des catastrophes liées au climat ces dernières années est colossal. « Depuis 2009, elles ont touché 650 millions de personnes, causé la mort de 112 000 personnes et coûté 500 milliards de dollars, énumère Armelle Le Comte, chargée de plaidoyer climat et énergie pour Oxfam_. On entend souvent que la transition écologique coûte cher, mais le coût de l’inaction est plus important. »_

Les ouragans Harvey et Irma devraient coûter 290 milliards de dollars (soit plus de 240 milliards d’euros) aux États-Unis. Le montant des dommages à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy est estimé à 1,2 milliard d’euros. « Aujourd’hui, seulement 16 % des financements internationaux sont consacrés à l’adaptation et aux mécanismes de résilience au dérèglement climatique, affirme Armelle Le Comte. Il est primordial de consacrer plus d’argent à la prévention, que ce soient des constructions plus solides ou des systèmes météo d’alerte pour permettre d’évacuer plus efficacement les populations. Les Philippines ont décidé de faire ces investissements, et beaucoup de vies ont été sauvées lors du passage du typhon Hayian. » Les bailleurs de fonds commencent à percevoir l’intérêt d’investir en amont. En 2015, 16 % des fonds humanitaires de l’Union européenne ont été consacrés à des activités de réduction des risques de catastrophe (RRC), soit plus de 107 millions d’euros. Mais la nécessité de prévenir plutôt que guérir ne semble pas encore totalement ancrée dans les mentalités des décideurs internationaux.

Écologie
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