Christophe Robert : « La baisse des APL, une décision dangereuse »

Malgré son plan « Logement d’abord », Emmanuel Macron a annoncé une deuxième baisse des aides au logement et des normes réduites dans la construction. L’analyse de Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé-Pierre.

Ingrid Merckx  • 15 septembre 2017
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Christophe Robert : « La baisse des APL, une décision dangereuse »
© photo : Sarah BRETHES / AFP

Il faut du pragmatisme ! », a déclaré Emmanuel Macron en présentant son plan logement le 11 septembre à Toulouse. Le président justifiait par ces mots sa volonté de réduire les exigences des normes sociales et environnementales pour la construction de logements neufs. Le problème du logement en France lui paraissant en partie imputable à ces normes relevant « parfois du bon sentiment ». Quand la France déplore 4 millions de sans-abris et mal-logés, difficile de croire que ce sont les bons sentiments qui étouffent le secteur. Pour faire montre des siens, le président a annoncé la mise en place de son plan « Le logement d’abord » dont découle la création de 50 000 places ou logements pérennes d’insertion : 10 000 dans des pensions de famille et 40 000 dans le parc locatif. Elles sont censées remplacer des nuitées d’hôtels « très coûteuses ». Mais le lendemain, 12 septembre, il annonçait la poursuite de la baisse des aides pour le logement (APL) qui concerne 13 millions de personnes parmi les plus modestes. Celle-ci devrait atteindre un milliard d’euros, soit jusqu’à 50 euros par bénéficiaire, mais en contrepartie d’une baisses des loyers. Entretien avec Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé-Pierre.

Comment comprenez-vous les récentes annonces du Président en matière de logement, notamment la nouvelle baisse des APL, alors même que le rapport 2017 du Secours populaire signale que la pauvreté ne cesse de progresser en France, pays qui compte près de 9 millions de pauvres ?

Si elle est confirmée, cette nouvelle baisse des APL entre en effet complètement en contradiction avec les annonces faites à Toulouse la veille en direction de l’hébergement d’urgence. Les APL et le logement social sont les deux leviers de l’exercice de la solidarité en France. Si on sort les personnes de l’hébergement d’urgence pour les mettre face à l’impossibilité de se loger ensuite, ou devant la menace d’expulsions pour impayés, on n’aura rien gagné. On ne peut mener une politique de logement sans prendre en compte toutes les dimensions qui vont de l’hébergement au logement en passant par la construction. Les APL ont déjà accusé une baisse de 5 euros en juillet. Nous continuons à dénoncer cette mesure profondément injuste. Aujourd’hui, le gouvernement cherche à économiser encore un milliard sur ces aides mais il semble avoir entendu l’argument selon lequel cette décision ne doit pas peser sur les locataires. Du coup, il cherche à compenser la baisse des APL par une baisse des loyers dans les HLM. Mais la baisse des APL ne peut se faire au détriment de la capacité des bailleurs sociaux à produire du logement social moins cher. Il ne faut surtout pas affaiblir le modèle économique du logement social qui fonctionne depuis 100 ans. Il y a un équilibre à ne pas rompre. Les APL concernent 6,5 millions de ménages, 13 millions de personnes, dont environ 800 000 étudiants. Ce sont des personnes ou très modestes, ou très pauvres. C’est-à-dire qu’une personne seule qui touche 1100 euros net ne peut plus bénéficier des APL, un foyer avec deux Smic net non plus. Ce sont les plus vulnérables qui sont touchés. Les conséquences à craindre : ceux qui ne sont pas encore dans un logement vont avoir encore plus de mal à y avoir accès. Et ceux qui y sont risquent soit de rogner sur autre-chose, comme la santé, soit de ne pas pouvoir payer. C’est une décision dangereuse, et tout sauf pragmatique.

Qu’en est-il du logement social ? La loi SRU pourrait désormais non plus s’appliquer par ville mais par communauté de communes ?

On entend en effet différentes informations de ce type, mais sans que rien ne soit confirmé. On assiste à un certain cafouillage. Le constat du gouvernement est le suivant : le logement coûte trop cher, et en même temps la France compte beaucoup de mal-logés. On va faire des économies… Mais les économies sur les APL ont déjà été faites ! Ces aides ont augmenté deux fois moins vite que les loyers depuis 2010 et trois fois moins vite que les charges. Il faut mener une réflexion globale : la question « Comment sortir les pauvres de la misère et du mal-logement ? » ne peut être déconnectée des choix économiques du pays concernant ses finances publiques : baisse de l’ISF, suppression de la taxe d’habitation, etc. Les ballons d’essais actuels sont assez préoccupants.

Les mesures concernant l’hébergement d’urgence représentent-elles une réelle avancée ?

La stratégie est intéressante et positive car elle agit sur plusieurs leviers à la fois pour accompagner les pensions de famille, le parc privé par l’intermédiation locative, le parc social via les Plai (prêts locatifs aidés d’intégration), la prévention des expulsions… Le gouvernement semble avoir pris en compte la philosophie qui consiste à dire que le logement est un levier d’insertion vers la santé, l’emploi, etc. Le problème, c’est qu’il faut mettre les moyens nécessaires dans le projet de loi de finances sur le plan « Logement d’abord », et remobiliser les préfets pour limiter les expulsions locatives. Sinon, ce plan ne se fera pas.

Agir sur les loyers n’est-il pas le levier numéro 1 ?

Du côté du parc privé, si on veut faire baisser les loyers, il faut mettre en œuvre la loi Alur qui, votée en mars 2014, n’est aujourd’hui appliquée qu’à Paris et à Lille. L’encadrement des loyers existe mais repose sur la bonne volonté des villes ! La garantie universelle des loyers, proposition qui a été finalement retirée de la loi Alur et consistait en une sorte de caution de l’État pour les impayés, reste posée. Pour remobiliser le parc privé et faire passer les baux à des prix inférieurs au marché, des discussions sont en cours dans le cadre de « Logement d’abord » avec Action logement qui gère un dispositif appelé Visale. Nous avons peu d’éléments pour l’instant mais nous en attendons beaucoup

Baisser les exigences en matière de normes environnementales et sur le handicap dans la construction de logements neufs ne marque-t-il pas un grand retour en arrière ?

J’étais à la table ronde quand le Président a évoqué la question des normes, je n’ai pas compris quelles étaient les réelles intentions. Il est évident qu’il faut combiner exigences écologiques et sociales. La loi sur la transition écologique vise à rénover thermiquement 500 000 logements par an dont 250 000 pour les plus modestes. De nombreuses personnes ne se chauffent plus pour des raisons budgétaires et nous avons calculé que l’isolation thermique permettait d’économiser jusqu’à 900 euros sur une facture de consommation annuelle ! C’est fondamental pour les habitants et pour la planète.

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