Étudiants : l’épreuve du logement

À chaque rentrée, trouver un toit à un loyer décent est un casse-tête pour de nombreux jeunes, notamment dans les grandes villes. Et ce malgré la loi.

Hugo Boursier  • 6 septembre 2017 abonné·es
Étudiants : l’épreuve du logement
© photo : FRANK PERRY / AFP/AFP

Un été synonyme de repos bien mérité ? Pas sûr. Pour 57 % des étudiants, c’est l’emploi saisonnier qui ponctue l’année scolaire. Et les bacheliers n’y échappent pas : ils sont 71 % à avoir travaillé durant les mois de juillet et d’août [1]. Les trois quarts y sont contraints pour se constituer une réserve d’argent et financer leur rentrée à venir. Études et budget : ces deux sujets anxiogènes pour les jeunes reviennent chaque été. Et sans doute encore plus fort cette année.

Le 14 juillet dernier, outre la fête nationale, il y avait aussi les résultats de la -troisième phase d’admission post-bac (APB). Bilan : 87 000 bacheliers n’ont reçu aucune affectation dans un établissement supérieur pour la rentrée, soit presque 10 % des inscrits sur la plateforme en ligne. Une semaine plus tard, le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, annonçait une baisse de 5 euros de l’aide personnalisée au logement (APL), à compter du 1er octobre. Soit 60 euros de moins sur l’année pour les quelque 800 000 étudiants qui bénéficient de cette allocation indispensable : le loyer représente en moyenne plus de 50 % de leurs dépenses mensuelles. Une charge considérable qui était censée être allégée par la loi Alur, appliquée depuis le 24 mars 2014.

L’encadrement des loyers était en effet une des mesures phares de la loi pour « l’accès au logement et à l’urbanisme rénové », dont le but était de « réguler le marché, protéger les citoyens et innover pour mieux construire », selon les mots de la ministre du Logement de l’époque, Cécile Duflot. Elle visait à instaurer une fourchette (fixée par arrêté préfectoral) dans laquelle devait se situer le montant à payer pour le locataire. Vingt-huit agglomérations de plus de 50 000 habitants, considérées comme « zones tendues », étaient concernées. Les propriétaires étaient ainsi tenus de proposer des loyers allant de 30 % moins cher à 20 % de plus que le loyer médian défini sur une zone spécifique. Ce dernier étant calculé par des « observatoires locaux des loyers », autre création de la loi. Le but : plafonner des coûts devenus insupportables pour les locataires, et a fortiori pour les étudiants.

Mais l’arrivée de Manuel Valls, sept jours plus tard, au poste de Premier ministre, a chamboulé les objectifs initiaux [2]. Dans son discours du 29 août 2014, il décidait de restreindre l’application de l’encadrement des loyers à Paris uniquement, à titre expérimental – restriction condamnée en avril dernier par le Conseil d’État, qui l’a qualifiée d’« abus de pouvoir ». Quelques jours après cette annonce, les villes de Lille et de Grenoble manifestaient leur souhait d’instaurer elles aussi la fameuse mesure. Depuis lors, c’est à l’initiative des élus municipaux de chaque agglomération que se décide la mise en place de l’encadrement des loyers.

Depuis le 1er août 2015 à Paris et le 1er février 2017 à Lille, les loyers sont ainsi soumis au plafonnement. À Grenoble, le processus est freiné par la pression des agences immobilières, qui refusent de partager leurs données nécessaires à la création d’un observatoire. Pour les deux villes concernées, le gouvernement a créé un site qui permet aux citoyens de vérifier si leur loyer ne dépasse pas celui de référence majoré de 20 % [3]. Plusieurs critères sont pris en compte : l’époque de construction, le nombre de pièces, le type de logement (meublé ou non), la date de signature ou de renouvellement du bail et la surface habitable. Exemple : pour un studio meublé de 15m2 situé dans le XIXe arrondissement de Paris, construit après les années 1990, et dont le bail démarre à partir du 1er août 2017, le loyer médian de référence est fixé à 396 euros par mois. Le loyer de référence majoré est estimé à 475,50 euros.

Cet outil, utile pour savoir si un loyer respecte ou non la loi, « reste largement méconnu des futurs locataires, et notamment des étudiants », explique Antoine Salesse, de la Confédération nationale du logement. C’est le cas de Mona, 23 ans, étudiante originaire de Marseille et future locataire à Paris, qui ne connaissait « pas du tout » la loi sur l’encadrement des loyers, ou encore d’Anne-Victoire, qui a « vaguement entendu parler de la loi Alur il y a un an », mais admet ne s’être pas « renseignée davantage ». « Et, au moment de mes recherches, j’avais complètement oublié », conclut la future étudiante à la Sorbonne.

Par ailleurs, les jeunes sont également soumis à d’évidentes contraintes de temps. Quand on sait en juin, voire en juillet, qu’on est accepté dans un établissement, on ne dispose que de quelques semaines pour trouver un toit avant la rentrée. « J’ai vraiment agi dans la précipitation absolue », explique Colin, admis au Celsa. « Je ne me suis pas renseigné sur la loi, et puis, du moment que le loyer pouvait être payé, c’était bon », poursuit-il, en espérant que sa future alternance lui permette de boucler son budget.

Ainsi, les étudiants, pressés et mal informés, sont les victimes privilégiées des propriétaires qui ne respectent pas la loi Alur. En effet, selon une enquête de la CLCV (Association nationale de défense des consommateurs et usagers) relative à l’encadrement des loyers [4], 41 % des annonces pour un studio meublé proposent un loyer au-dessus du maximum autorisé. Une proportion qui tombe à 32 % pour les biens disposant de 4 pièces. « Les jeunes en quête d’un studio meublé ont le plus de risques d’être arnaqués », conclut la CLCV.

Un constat qui demeure identique depuis la première enquête de l’association sur l’encadrement des loyers, en 2015. La moyenne de dépassement s’élève à 143 euros par mois à Paris, et à 123 euros à Lille, ce qui équivaut, à l’année, à 1 719 euros et 1 479 euros. Ainsi, pour celui ou celle qui travaillerait 8 heures au Smic tous les samedis en plus de ses études, cela représente environ 28 jours de travail supplémentaires, uniquement pour éponger le surplus de loyer demandé abusivement par le propriétaire !

Il est aussi intéressant de noter que le taux d’illégalité des loyers dépend des sites de recherche de location. Foncia ou Century 21 ont, par exemple, un taux de conformité de 80 %, lorsque les annonces du site Leboncoin sont, pour la moitié d’entre elles, hors des clous. Une information importante lorsque l’on sait que de nombreux étudiants utilisent cette plateforme pour leur recherche d’appartement. Le site Seloger passe, quant à lui, d’un taux de conformité de 72 % en 2016 à 61% cette année : « une chute inquiétante », pour la CLCV.

En outre, le propriétaire a la possibilité de proposer un montant supérieur à celui autorisé par la loi Alur, grâce à un « complément de loyer ». Une astuce explicitement détaillée dans des articles de presse [5]. À l’origine, ce complément était justifié par la loi lorsque l’appartement comportait des caractéristiques « exceptionnelles », définies par décret. Puis le Conseil constitutionnel a censuré ce caractère « exceptionnel », arguant qu’il porterait atteinte à l’exercice du droit de propriété. Dès lors, « la définition du complément de loyer demeure très floue », indique le rapport -d’information, d’autant que « son montant n’est nullement limité, de sorte que les logements susceptibles de bénéficier d’un tel complément ont, dans les faits, un loyer libre », précise la CLCV.

« Les éléments justifiant cette mesure ne sont pas protecteurs pour le locataire », conclut Antoine Salesse, qui poursuit : « Un des défauts majeurs de la loi est qu’il n’y a aucun contrôle de la puissance publique en amont de la mise en location. » En clair, « c’est au locataire d’engager des procédures contre le propriétaire s’il constate que l’encadrement n’est pas respecté ». La première étape de contestation, pour le locataire, est un passage à la Commission départementale de conciliation (CDC). Ensuite, s’il le faut, au tribunal d’instance. D’ailleurs, « contrairement aux craintes de certains analystes quant à une multiplication des contentieux », la CDC de Paris, s’agissant de l’encadrement des loyers, n’a reçu que 90 saisines en deux ans d’existence. Parmi elles, 38 relatives au complément de loyer. Et les locataires, lorsqu’ils saisissent la commission à ce sujet, ont été plutôt gagnants.

Mais les étudiants ne prennent pas forcément le temps de s’engager dans cette voie, comme l’explique Élie Sarfati, président de l’Association générale des étudiants de Paris (Agep) : « Très souvent, les étudiants sont tellement contents d’avoir trouvé un logement qu’ils redoutent d’utiliser un mécanisme permettant de contester le loyer auprès du propriétaire. Ils relativisent en se disant qu’ils ont enfin trouvé un toit dans la capitale, si possible pas trop loin du lieu d’étude. »

La loi Alur a tout de même permis de freiner l’augmentation des loyers, laissée libre depuis vingt ans. Elle a aussi encadré les honoraires d’agence et réduit le préavis en zone tendue à un mois, grâce aux modifications faites par la loi Macron du 8 août 2015. Néanmoins, les étudiants, dont un quart vivent sous le seuil de pauvreté, sont toujours contraints de subir un loyer démesurément élevé pour des studios ou des chambres parfois insalubres. Il existe bien des alternatives moins coûteuses, comme les résidences du Crous, mais elles ne concernaient en 2013 que 3 % des étudiants à Paris, et 7 % en France, contre plus de 30 % pour le logement dans le parc privé, colocations comprises [6]. Une dépense qui a des conséquences sur la vie sociale, l’accomplissement de soi et la place des études dans le quotidien.

Alors, qu’attendre d’Emmanuel Macron à ce sujet ? Lors de la campagne présidentielle, il préconisait la surproduction de logements pour faire baisser les loyers, une théorie réfutée par Droit au logement dans son analyse du programme du candidat, parue le 4 mai dernier. Selon l’association, cela bénéficierait davantage aux investisseurs qu’aux locataires précaires. Quant à l’encadrement des loyers, le Président souhaite évaluer ses effets avant d’étendre le dispositif à d’autres villes que Paris et Lille. Un débat qui risque de voir, une nouvelle fois, les lobbys immobiliers œuvrer de concert pour démontrer les conséquences néfastes sur leur juteux marché.

[1] « Vacances ou job d’été pour les étudiants ? », étude réalisée par Diplomeo du 14 au 19 juillet, auprès de 3 407 étudiants.

[2] Voir « Comment les lobbys ont eu la peau de la loi Alur », Politis, 9 avril 2014.

[3] www.encadrementdesloyers.gouv.fr

[4] « Encadrement des loyers à Paris et Lille : 62 % d’annonces conformes », CLCV, 6 juillet 2017.

[5] Voir « Comment s’affranchir de l’encadrement des loyers », Figaro Immobilier, 18 novembre 2016.

[6] « Conditions de vie des étudiants », Observatoire national de la vie étudiante, 2013.

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