Manif du 23 septembre : l’unité à l’épreuve

Les états-majors communiste et écologiste, mais aussi les syndicats, rechignent à défiler lors de la manifestation contre « le coup d’État social » organisée samedi 23 septembre à l’initiative de la France insoumise.

Pauline Graulle  • 20 septembre 2017 abonné·es
Manif du 23 septembre : l’unité à l’épreuve
© photo : Alain Pitton/NurPhoto/AFP

Emmanuel Macron peut se frotter les mains : samedi, la gauche ne pourra pas scander « tous ensemble ! tous ensemble ! » dans les rues de Paris. Loin de faire l’unanimité, la manifestation du 23 septembre, dont la date a été fixée dès le mois de juillet par Jean-Luc Mélenchon, suscite bien des réticences des organisations de gauche, qui dénoncent toutes la démarche solitaire du leader de la France insoumise.

En lieu et place du front uni, pourtant très attendu à gauche, contre la loi travail du gouvernement d’Édouard Philippe, c’est donc une opposition amputée de bon nombre de ses figures emblématiques et de ses organisations traditionnelles qui battra le pavé. Côté syndical, Philippe Martinez, leader de la CGT, dans une guerre larvée avec le député de Marseille pour le leadership de la contestation, a ainsi déjà annoncé qu’il bouderait la marche contre « le coup d’État social » organisé par La France insoumise (lire encadré). Outre ce grand absent, plusieurs formations politiques traînent des pieds elles aussi.

À commencer par le Parti communiste – du moins son état-major – qui, en dépit de ses appels récurrents à l’unité, ne cesse, depuis des semaines, de louvoyer pour éviter de dire s’il sera, ou non, de la partie le 23. « On n’est pas focalisés sur une seule date », arguait encore, vendredi dernier, Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF, lors d’un déjeuner autour d’un plateau de fruits de mer avec des journalistes, sur un stand de la Fête de l’Humanité. Saluant le fait que Jean-Luc Mélenchon aurait, selon lui, « finalement renoncé à enjamber la manifestation du 12 septembre – et tant mieux ! », il ajoutait à l’attention de son ancien camarade du Front de gauche : « Il faut respecter le calendrier des mobilisations syndicales, et non les concurrencer. »

Les syndicats ne marcheront pas

Le patron de la CGT l’avait dit le 16 septembre, au sortir de son rendez-vous avec Jean-Luc Mélenchon : le 23 septembre, il manifestera pour la paix, pas contre les ordonnances. « Contre la loi travail, nous défilerons le 21 septembre, aux côtés de la FSU, de Solidaires, et de fédérations Force ouvrière “dissidentes” », confirme-t-on au service de presse de la confédération. Mais la question d’agenda ne trompe personne…

Plus étonnant, le syndicat Solidaires non plus ne marchera pas aux côtés de Jean-Luc Mélenchon et de ses amis samedi. « On aura, comme d’autres organisations, un point fixe dans le parcours, mais on ne défilera pas », précise Éric Beynel, porte-parole de l’union syndicale, qui estime que « le cadre dans lequel a été appelée cette marche ne permettait pas qu’on y aille. À Solidaires, on a toujours été très soucieux de l’indépendance entre le mouvement syndical et les partis politiques, mais on est aussi très sensibles au cadre unitaire, qui existe, mais qui a été mis de côté dans cette affaire ». Le leader syndical, qui défilera par contre le 21 septembre, juge de toute façon que « le bilan des mobilisations contre la loi El Khomri l’an dernier a montré qu’il fallait davantage miser sur les grèves et le blocage de l’économie si on veut être efficaces ».

Prétextant leur participation à la Marche pour la paix, qui a lieu le même jour, les huiles de Colonel-Fabien ont fini par décider qu’ils enverraient bien une « délégation » dans le cortège mené par la France insoumise. Répondront présents l’ancienne candidate à la présidentielle Marie-George Buffet et le député de Dieppe Sébastien Jumel, qui veut « être de toutes les manifs, dont celle du 23 » et qui a appelé « à dédiaboliser tout ça ».

Mais Pierre Laurent, lui, n’en sera pas. Une réponse du berger à la bergère : le patron du PCF a mal vécu l’absence remarquée de Jean-Luc Mélenchon à la Fête de l’Humanité. Au point que samedi, à La Courneuve, lors de son discours devant une demi-douzaine de représentants de la France insoumise, de Benoît Hamon, de quelques socialistes et du secrétaire général d’Europe écologie-Les Verts (EELV), il envoyait quelques piques – en réalité assez inoffensives mais était-ce bien utile ? – contre l’intéressé, en déplacement à La Réunion. Le discours n’était pas terminé que les lieutenants de la France insoumise présents au premier rang s’offusquaient comme un seul homme sur Twitter de ce qu’on « tapait » sur leur champion dans son dos… Ambiance !

Chez les écolos, l’heure n’est pas plus à la concorde. Le patron des Verts, David Cormand, qui manifeste le 21 septembre à l’appel de Philippe Martinez, ne veut en revanche pas « se rallier au panache rouge de Jean-Luc Mélenchon », car « le combat mérite mieux que cette injonction à le suivre ». « À la base, le 23 n’est pas fait pour être unitaire, ajoute Sandra Regol, porte-parole d’EELV. Mélenchon a conçu ça comme un meeting [le dirigeant insoumis prendra en effet la parole à 17 h, place de la République, NDLR]_. Or en tant que force politique, il n’y a pas de raison qu’on soit à regarder dans le public, même si par ailleurs on peut partager les mots d’ordre. »_

Quand le NPA d’Olivier Besancenot reproche à Jean-Luc Mélenchon de « la jouer solo », à l’aile gauche socialiste, Gérard Filoche, pourtant premier opposant « médiatique » à la loi travail, ne veut pas « répondre aux sifflets [de Jean-Luc Mélenchon, NDLR] ». « On n’a pas été consultés ni sur la date, ni sur le mot d’ordre, ni sur qui prendrait la tête du cortège… Sur rien !, tempête l’ancien inspecteur du travail. Et puis d’ailleurs, je ne sais pas ce que ça veut dire “coup d’État social”. » Ce qui n’empêchera pas, néanmoins, un autre socialiste, l’eurodéputé de l’aile gauche, Emmanuel Maurel, de s’y rendre.

Au final, outre les petites formations Ensemble ! et le Parti ouvrier indépendant (POI), qui appellent à manifester le 23, l’ex-socialiste Benoît Hamon est bien le seul leader de mouvement politique à rejoindre les rangs du cortège sans barguigner : « À partir du moment où il y a des manifestants de gauche, nous irons, sans sectarisme », a-t-il lancé, sous son petit chapiteau du M1717 [1], à la Fête de l’Huma, comprenant tout l’intérêt d’apparaître au-dessus de cette déplorable mêlée entre frères ennemis…

Sentant sans doute que les choses s’emmanchaient plus mal que prévu, la France insoumise a fait un geste, en début de semaine. Répondant à une demande d’Olivier Besancenot, Éric Coquerel a indiqué qu’une réunion « facilitatrice » serait organisée mardi soir « avec tous ceux qui veulent venir » pour discuter de la logistique. « On veut que tout le monde se sente bien dans les cortèges, car ce n’est pas la manif de la France insoumise, c’est la manif de tout le monde », plaide le député de Seine-Saint-Denis.

Une initiative qualifiée de « bonne nouvelle, même si elle arrive un peu tard », par le NPA, qui s’y rendra. « Les mauvaises manières de Jean-Luc Mélenchon n’aident pas à rendre le front unitaire. Or, vu la politique de Macron, ce n’est pas le moment de jouer une stratégie perso », souligne Christine Poupin, qui précise que le parti anticapitaliste sera dans le cortège, mais « dans un pôle réclamant l’unité ». Pas tout à fait dehors, mais pas tout à fait dedans non plus…

Dans cet océan de critiques, la France insoumise parviendra-t-elle à mobiliser largement ? Le mouvement, qui clame vouloir fédérer « le peuple » et non le « vieux monde » des organisations traditionnelles, a pour lui l’insolente côte de popularité de son leader : dans un sondage Odoxa publié lundi, il apparaît pour la première fois comme « la personnalité politique préférée des sympathisants de gauche » (à 68 %, devant Benoît Hamon à 58 %).

De quoi permettre à Éric Coquerel d’espérer une marche « du même calibre que celles qu’on avait organisées pendant la campagne », comme la marche pour la République, le 18 mars dernier, qui avait rassemblé 130 000 personnes, selon les organisateurs. À cette différence qu’à l’époque, Jean-Luc Mélenchon avait demandé à ses « marcheurs » de préférer le drapeau français aux signes « partidaires », relégués en fin de cortège. Cette fois, les drapeaux politiques seront les bienvenus. Histoire de montrer que si les organisations manquent à l’appel, le peuple, dans toute sa diversité politique, sera, lui, bien présent.

[1] Ainsi nommé parce que créé le 1er juillet 2017.