Climat : sortir de la léthargie

George Marshall a enquêté sur un mystère actuel : pourquoi le dérèglement climatique, dont les risques sont considérables, ne nous mobilise pas plus ?

Patrick Piro  • 25 octobre 2017 abonné·es
Climat : sortir de la léthargie
© photo : STR/AFP

Alors que les impacts du dérèglement climatique sont déjà perceptibles, et qu’il ne s’agit, in fine, que de préserver les conditions de la vie sur la Terre, pourquoi ne mettons-nous pas plus d’énergie à renverser la vapeur ? Sociologues, anthropologues, psychanalystes… Divers écrits ont été commis sur les mécanismes de ce « déni », notamment aux États-Unis, où, par son ampleur, la négation du dérèglement a valeur de phénomène social. Dans cette veine, le Britannique George Marshall, sociologue et philosophe, a mené sur ce « syndrome de l’autruche » une enquête originale. L’essai, efficace et très vivant, met en scène une série étonnamment riche de situations vécues : comment la science est perturbée par les perceptions sociales, pourquoi le changement climatique ne donne pas un sentiment de danger, pourquoi nous paraît-il insurmontable, comment est-il barré par nos biais cognitifs, etc.

Il s’agit, certes, de mieux cerner « pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique », mais aussi, et surtout, d’en exsuder une conduite pratique, la principale valeur ajoutée de l’ouvrage. En militant climatique revendiqué, George Marshall vise à doter son camp des bons outils pour tenter d’emporter la conviction des autres. Car enfin, sous-entend l’ouvrage, si les décideurs sont aussi peu volontaristes dans la lutte contre les émissions de CO2, c’est que les citoyens sont insuffisamment imprégnés de l’enjeu.

Pas de énième diatribe contre les arguments des « indifférents » et des « critiques », Marshall s’attache à décortiquer leur système de pensée et de valeurs pour identifier le cœur de leur motivation. Il visite des « négationnistes » ou des membres du Tea Party, interroge l’échec de stratégies culpabilisantes, ou la prééminence des comportements « irrationnels ». Les réponses ne seraient pas du ressort de la science climatique, mais de mécanismes mentaux ainsi que de codes culturels et sociaux. Nous serions même psychiquement « programmés » pour « ignorer » le dérèglement – trop diffus, écrasant, à effet différé, sans « méchants » incarnés, etc. Mais aussi « programmés pour agir », réagit l’auteur, qui invite son lecteur à rejoindre la bataille de l’opinion : il faut créer de nouveaux « récits » sur le dérèglement, porteurs de désir et de perspectives de victoire. Et pour cela, renouveler fortement la teneur des discours de sensibilisation, pour casser les clivages qui retardent l’avènement d’un consensus sur des mesures à la hauteur du défi. Parmi les idées les plus originales : s’inspirer des religions (rompues aux méthodes visant à entretenir les croyances), ou comprendre que les opposants fonctionnent comme les écologistes – cadenassés sur leurs convictions. Et donc intervenir sur leur corpus de valeurs pour expliquer en quoi le dérèglement les menace. « Ne partez jamais du principe que ce qui marche pour vous fonctionnera sur d’autres. »

Le Syndrome de l’autruche. Pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique, George Marshall, Actes Sud, 416 p., 24 euros.

Idées
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