Dialogue en roues libres

Arnaud Saury et Mathieu Despoisse utilisent le vélo acrobatique pour une réflexion subtile et décalée sur l’idée de militantisme et de genre.

Anaïs Heluin  • 4 octobre 2017 abonné·es
Dialogue en roues libres
© photo : DR

Mathieu Despoisse et Arnaud Saury sont sur un vélo. Aucun des deux ne tombe, malgré les positions incongrues que le premier impose au second. Que se passe-t-il ? Mieux vaut donner sa langue au chat. À moins peut-être d’avoir assisté à l’unique performance de l’étonnant duo en ouverture du spectacle Domestic Flight (2005) de la compagnie La Zouze : une conférence déjantée intitulée Hiérarchie sexuelle (un combat pour la redéfinition des frontières). Respectivement comédien-metteur en scène et circassien, les deux artistes semblent reprendre dans Dad is Dead leur dialogue là où ils l’avaient laissé des années plus tôt. À la différence que, cette fois, ils mêlent leurs deux pratiques en une drôle de palabre cycliste, et s’autorisent des bavardages à des kilomètres de leur propos d’origine.

Commerce Fair Trade, études de genre, luttes de la communauté LGBT… En l’espace de trente-cinq minutes, les deux acolytes passent joyeusement d’un sujet de désaccord à un autre, sans plus d’effort de transition que des circassiens classiques entre deux numéros. Et ce faisant, ils pédalent. L’air de rien, ils profitent de tous les possibles que leur offre leur agrès, sans se priver de quelques sous-entendus grivois. Entre l’esquisse de kamasutra homosexuel sur vélo et la réflexion comiquement décousue sur l’idée de militantisme, Mathieu Despoisse et Arnaud Saury trouvent un équilibre très personnel entre écriture et performance. Cela sans passer par la mise en abyme, largement utilisée par les artistes de nouveau cirque à la recherche d’écritures inédites. Au détriment parfois de l’esthétique.

Dans Dad is Dead, le cirque colle au monde et le discours amoureux côtoie réflexions éthiques, économiques, morales et politiques. Des cohabitations qui produisent de l’absurde et détournent les artistes de toute forme de prêt-à-penser. Chose encore rare concernant le traitement du genre dans les arts du cirque, souvent fondé sur des représentations assez classiques et stéréotypées du masculin et du féminin. Sauf dans certaines créations récentes, comme Grande de Vimala Pons et Tsihiraka Harrivel [1] et l’excellent Circus remix [2]de Maroussia Diaz Verbèke, où se déploie une féminité aussi puissante qu’insolite. Après La Route du Sirque, à Nexon (87), Les Toiles dans la ville, à Lille (59) et les nombreux festivals et lieux où Dad is Dead a fait escale depuis sa création, on se réjouit de le retrouver à Paris au Village de cirque, qui fait honneur cette année au collectif le Cheptel Aleïkoum, dont fait partie Arnaud Saury.

[1] Voir Politis n° 1437.

[2] Jusqu’au 14 octobre au Monfort, puis du 14 au 25 novembre au Centquatre, à Paris.

Dad is Dead, les 14 et 15 octobre, Village de cirque, pelouse de Reuilly, 75012 Paris, 01 46 22 33 71. Puis le 15 novembre au Manège, Reims (51), le 17 à La Batoude, Beauvais (60) et le 24 au Théâtre Louis-Aragon, Tremblay-en-France (93).

Culture
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