La Confédération paysanne « agréablement surprise » par les annonces de Macron

Nicolas Giraud, secrétaire national du syndicat agricole, réagit au discours prononcé par le Président en conclusion des États généraux de l’alimentation, hier soir.

Olivier Doubre  • 12 octobre 2017 abonné·es
La Confédération paysanne « agréablement surprise » par les annonces de Macron
© photo : FRANCOIS MORI / POOL / AFP

Au sortir des États généraux de l’alimentation, le président de la République a annoncé une future loi d’intervention tendant à protéger économiquement les prix des productions des paysans face à la grande distribution. Une « surprise » qui doit être vérifiée dans les faits, selon Nicolas Giraud, paysan et secrétaire national de la Confédération paysanne en charge de l’élevage, qui a suivi depuis le début ces États généraux.

Qu’attendiez-vous de ces États généraux de l’alimentation ? Aviez-vous quelque espoir qu’ils puissent déboucher sur des propositions positives ?

Nicolas Giraud : Au départ, l’un des objectifs principaux de ces États généraux – et ce que nous attendions au premier chef – était de remettre le producteur au cœur du processus de fixation des prix. En particulier de pouvoir travailler à la rédaction d’une loi visant à garantir une rémunération juste des producteurs. La Confédération paysanne a en effet depuis longtemps la revendication d’inscrire dans la loi l’interdiction de la vente à perte de nos produits en tenant compte de la rémunération du travail paysan. Cette revendication ne va d’ailleurs pas sans une seconde exigence qui, au-delà de la question du prix, englobe celle de retrouver de la reconnaissance dans nos métiers. Certes, le revenu est une sorte de reconnaissance mais il ne se suffit pas à lui tout seul : la reconnaissance de nos activités passe aussi par le fait que, nous producteurs, du fait de l’injonction qui nous est faite de nourrir correctement la population, devons travailler de façon durable, avec des produits sains et de qualité.

Quant à la question de savoir si nous avions des espoirs autour de ces États généraux, je dois dire que, franchement, nous craignions qu’il ne s’agisse d’une énième grand-messe dont rien ne sortirait in fine. Surtout, il nous semblait que le fait de se réunir autour d’une table avec tous les acteurs avait déjà eu lieu maintes fois dans les interprofessions mais que cela ne débouchait sur rien car il y manquait une impulsion politique. Nous étions donc plutôt sceptiques au départ. En outre, notre scepticisme était renforcé par le fait que les intervenants comme les présidents des ateliers étaient presque tous des gens qui prônent une agriculture productiviste et donc un modèle agricole qui nous semble à bout de souffle.

Emmanuel Macron a conclu mercredi 11 octobre ces États généraux. Quelles ont été ses principales annonces et quelles appréciations en faites-vous ?

L’annonce principale est qu’il devrait y avoir, au sortir de ces États généraux, une loi – ce qui est depuis très longtemps l’une de nos premières revendications. Et au cœur de ce texte devrait figurer l’inversion du mode de contractualisation et l’inversion du mode de fixation des prix dans les contrats. Cela signifierait que le prix serait établi en tenant compte, d’abord et en premier lieu, des coûts de production du paysan producteur, avant que chaque maillon de la chaîne, transformateurs puis distributeurs, impose sa marge avant d’arriver à la consommation. Il s’agirait là d’une inversion totale de la chaîne de construction du prix, qui, pour nous, peut répondre à la demande de prise en compte du problème du revenu paysan.

Tout n’est donc pas négatif dans ces annonces ?

Il faudra évidemment voir quand et comment cela sera mis en œuvre mais nous pouvons dire aujourd’hui que nous sommes agréablement surpris par ces annonces du président de la République. Celui-ci a d’ailleurs employé le mot paysan à plusieurs reprises, a parlé du bio et répété qu’il allait falloir changer de modèle. Un modèle, a-t-il même dit, dans lequel trop de paysans sont pieds et poings liés et dont il faut les aider à sortir. Il a en outre insisté sur le fait qu’il fallait agir par la loi mais aussi par la construction collective, ce qui est extrêmement important, soulignant ainsi qu’il fallait que chaque filière se prenne en main, et qu’une décision politique, seule, ne suffirait pas.

Je crois qu’il y a une vraie prise de conscience de la part d’Emmanuel Macron vis-à-vis de notre modèle agricole qui est arrivé à son terme. C’est ce que nous demandons depuis longtemps : le paysan n’est pas un producteur qui doit produire toujours plus, mais celui qui doit produire une alimentation de qualité. Aujourd’hui, ce que nous disons, c’est qu’il va falloir encadrer cette volonté par des règles précises.

Néanmoins, ce discours ambitieux – que nous n’avions pas entendu depuis très longtemps dans le domaine agricole – nous semble indiquer des pistes fort intéressantes pour l’avenir. Nous attendons maintenant avec impatience que des textes de lois puissent mettre en œuvre la parole du président de la République. Mais les paysans doivent maintenant réfléchir aussi eux-mêmes aux finalités de leurs productions agricoles, en prenant en compte toutes les conséquences, notamment sanitaires et environnementales.

On a évoqué ces derniers jours un possible départ de Nicolas Hulot du gouvernement. Pensez-vous que ces annonces soient une tentative de le faire rester au gouvernement ?

C’est possible. J’avoue que je ne sais rien de ces rumeurs de départ de Nicolas Hulot. Cependant, Emmanuel Macron est allé tellement loin dans ce discours, notamment quand il a expliqué qu’il fallait cesser d’exporter du porc ou du poulet bas de gamme sans répondre à la demande intérieure, avec des mots très durs envers certaines filières agricoles qui n’ont pas fait les bons choix, que cela correspond à une véritable remise en cause d’un certain système agricole. Je ne pense donc pas que ce discours ait pour objectif immédiat de rattraper Nicolas Hulot. Il me semble au contraire qu’il exprime une prise de conscience forte de la part d’Emmanuel Macron.

Reste à voir si elle sera effectivement suivie d’effets concrets. Le signal donné me paraît tout à fait positif à l’heure d’aujourd’hui. Et on veut y croire, tout en restant vigilant pour la suite. C’est en tout cas la première fois qu’on a un discours présidentiel avec une hauteur de vue qui ose pointer les problèmes du modèle agricole productiviste. On ne va donc pas faire la fine bouche d’emblée. Surtout qu’il ne s’agit pas d’un discours de campagne électorale, mais bien celui d’un président de la République en exercice.

Ces annonces ne continuent-elles pas à faire la part belle à la grande distribution ? Cela ne va-t-il pas encore augmenter, si le dispositif sur les prix est mis en place, la dépendance des paysans par rapport à la grande distribution ?

Je ne le crois pas en l’espèce. Ce n’est pas parce qu’on va acter dans les contrats que nos prix seront payés au moins à nos coûts de revient que l’on augmente la dépendance. Celle-ci est déjà là par effet contractuel, elle ne sera pas renforcée. Contractualiser à partir des coûts de production est au contraire un moyen de sécuriser les producteurs et de leur permettre d’initier la transition (environnementale, sociale), et même, peut-être, à terme, de se passer d’une partie de leurs débouchés en grandes surfaces puisque si les coûts de revient sont garantis, ils peuvent espérer avoir une rémunération minimale et faire des choix plus ambitieux. C’est-à-dire à terme de mieux vivre et, sur les territoires, de travailler autrement.