Marlène Schiappa : « Je prône le flagrant délit et la valeur d’exemple »

Pour Marlène Schiappa, la lutte contre les violences sexuelles et sexistes doit être menée sur les terrains législatif et institutionnel, mais aussi éducatif et culturel.

Nadia Sweeny  • 25 octobre 2017 abonné·es
Marlène Schiappa : « Je prône le flagrant délit et la valeur d’exemple »
© photo : BERTRAND GUAY/AFP

Devenue « grande cause nationale du quinquennat » le 5 octobre, dans un étonnant silence médiatique, la thématique de l’égalité femmes-hommes s’est pourtant transformée en quelques jours en l’objet politique le plus vendeur de la macronie. Et cela grâce à une coïncidence : le même jour, l’affaire Weinstein éclate, mettant la question du harcèlement sexuel à la une de la presse internationale. Désormais, il ne se passe plus une journée sans qu’on entende parler de violences sexistes, d’égalité femmes-hommes et, par conséquent, de la secrétaire d’État concernée, Marlène Schiappa.

Depuis les affaires de violences sexuelles qui ont émergé dans l’actualité, des milliers de femmes racontent leurs expériences sur les réseaux sociaux. Que pensez-vous de #balancetonporc ?

Marlène Schiappa : C’est une bonne chose que les femmes s’expriment. Le président de la République – pour la première fois de l’histoire – dit lui-même en direct à la télévision que ce n’est pas aux femmes d’être honteuses, mais aux agresseurs. C’est un message politique particulièrement fort. Peut-être qu’aujourd’hui, enfin, la société est prête à entendre cette parole qui se libère.

Parole dont vous vous faites le relais…

Ça fait des années que j’essaye de mettre ce sujet à l’agenda médiatique. Quand j’étais présidente associative ou maire adjointe, j’avais beau écrire des tribunes, organiser des débats ou écrire des notes d’analyses, l’écho était relatif. J’ai été la première à écrire un livre sur la culture du viol. Deux cent cinquante pages de travaux de recherche, d’analyse sémantique, de coupures de presse, d’historique sur la criminalisation du viol, etc. Lorsque j’ai voulu sortir ce livre intitulé Où sont les violeurs ?, les éditeurs ne voulaient pas le publier à cause du titre pas assez « soft » et « feel good » ! Quand j’ai enfin trouvé une maison d’édition qui l’accepte – moyennant un revenu relativement bas – les libraires le refusaient à cause du terme « violeurs » dans le titre… Aujourd’hui, quand je parle de culture du viol ou quand j’explique qu’il faut dire « violence sexiste et sexuelle » et pas « violences faites aux femmes » pour visibiliser le caractère de la violence et pas la victime, c’est repris massivement. En tant que membre du gouvernement, j’ai effectivement une force de frappe bien plus forte. C’est aussi à ça que sert le politique.

Vous allez proposer une loi contre les violences sexistes, avec notamment la verbalisation du harcèlement de rue. La pénalisation des injures existe, celle du harcèlement sexuel aussi… qu’est-ce que votre loi va ajouter de plus ?

Le harcèlement de rue n’est pas réellement caractérisé : le fait de suivre une femme dans le métro, de lui demander quinze fois son numéro de téléphone, etc., n’est pas un délit. Je prône la verbalisation, le flagrant délit et la valeur d’exemple. Je suis frappée par le nombre d’hommes qui me disent encore aujourd’hui : « C’est mon bon droit, je ne fais rien de mal. »

Cela va être difficilement applicable, cinq députés doivent émettre des propositions d’application. Comment va être faite cette loi ?

Cette loi va être citoyenne : à l’occasion du tour de France de l’égalité, des ateliers vont être organisés pour recueillir la parole et les idées des gens. Chacun peut venir nous dire ce qu’il manque, expliquer, par exemple, pourquoi les femmes qui parlent sur Twitter ne sont pas allées déposer plainte… Je crois à l’intelligence collective. Si les gens jouent le jeu, il ne devrait rien manquer dans cette loi. Nous, en parallèle, on s’attache à ne rien laisser passer en matière de communication ou d’actes sexistes. Je veux clairement abaisser le seuil de tolérance de la société sur ces violences.

C’est donc un combat culturel, ne devrait-il pas se mener au niveau de l’éducation par de la prévention ?

Si, on travaille à une journée de sensibilisation à l’occasion du service civique sur la culture du viol.

Et à l’école ?

Avec Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale, on prévoit de lancer un audit sur les trois journées d’éducation à la sexualité, pour savoir si elles sont appliquées, comment, dans quelles académies, et quelles sont les possibilités de les harmoniser sur l’ensemble du territoire.

Des juristes ont aussi pointé du doigt la correctionnalisation des viols…

J’en ai parlé avec Nicole Belloubet, la garde des Sceaux, et Laurence Rossignol, l’ex-ministre du Droit des femmes, et les analyses divergent. Mon intime conviction, c’est qu’il ne faut pas correctionnaliser les viols, car cela équivaut à une dégradation de la peine. Mais cette correctionnalisation a aussi pour but d’aller plus vite, notamment pour les victimes. Cela dit, on n’a pas de chiffres sur ce phénomène de correctionnalisation des viols. On doit s’assurer de son existence, de ses termes et de ses proportions. C’est dans ce sens que notre loi s’appelle « La juste condamnation judiciaire et sociétale des violences sexistes et sexuelles ».

Le Défenseur des droits a lancé un communiqué pour rappeler qu’il était compétent en matière de harcèlement sexuel sur le lieu de travail… Comment mieux agir dans l’entreprise ?

Le Défenseur des droits détient beaucoup de moyens et de possibilités d’investigation et d’action, or il est très peu saisi. Nous avons signé un accord cet été pour rendre plus visible son action. Dans l’entreprise, il y a une médecine du travail, l’inspection du travail, le défenseur des droits et des lois qui s’appliquent… Les moyens d’action existent, c’est aussi le rôle des syndicats de s’en saisir. Les acteurs sociaux doivent prendre leurs responsabilités car l’État ne peut pas tout.

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