Yanis Varoufakis : « Ils voulaient nous faire mordre la poussière »
Ministre des Finances durant 162 jours, Yanis Varoufakis raconte les humiliations subies et l’absurdité du plan de « sauvetage » de son pays. Jusqu’au renoncement de Tsipras.
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En jeans, Doc Martens noires aux pieds, tee-shirt noir sous une veste sombre, Yanis Varoufakis nous a reçus samedi matin. Avenant, souriant parfois, il est pourtant un homme obstiné, qui ne mâche pas ses mots, en particulier sur les reculs d’Alexis Tsipras et de son gouvernement, qu’il traite de « collaborationniste ». Il revient, à la suite de son livre, sur son passage au ministère grec des Finances, mais commente également l’actualité, notamment de l’Union européenne, qu’il espère un jour parvenir à réformer.
Au soir du 5 juillet 2015, le oxi, « non » en grec, l’emporte au référendum sur les mesures d’austérité imposées par les créanciers, et avec plus de 62 % des suffrages. De la place Syntagma au centre d’Athènes, montent alors une ferveur et des cris de joie. Au même moment, dans le palais du Premier ministre, vous trouvez Alexis Tsipras blême, livide. Pouvez-vous décrire cet instant ?
Yanis Varoufakis : Tsipras semblait détruit. Déprimé. Pour lui, ce référendum devait être une voie échappatoire, car il avait déjà décidé de capituler depuis un bon moment, contrairement à son engagement vis-à-vis du peuple grec. Depuis la fin avril, précisément. Notre premier clash eut lieu à cette époque car, derrière mon dos, il avait déjà commencé à accepter certaines mesures d’austérité de la troïka, non pas pour l’année à venir, mais pour au moins les dix prochaines années. J’avais, à ce moment-là, déjà affronté l’un de ces nombreux moments de dilemme moral quant au fait de démissionner. Et j’ai choisi de ne pas le faire car, même s’il avait déjà décidé de capituler, j’ai espéré – et cru – que le fait que les créanciers l’humilient aussi cruellement allait le faire se reprendre et qu’il allait venir me voir en disant : « Allez, faisons ce que nous avons décidé dès le départ ! » C’est pour cela que je n’avais pas démissionné fin avril. Même si je voyais d’ores et déjà que, plus il accepterait de leur concéder, plus ils allaient exiger. Ensuite, le 25 juin, la troïka m’a présenté son nouveau mémorandum, qui était un véritable ultimatum mais surtout d’un tel non-sens financier que, même si j’avais voulu signer, je n’aurais jamais pu.
Et c’est donc à ce moment que Tsipras décide du référendum…
Oui. Car il a compris qu’ils voulaient vraiment nous faire mordre la poussière, avec la fermeture des banques, etc. Or, Tsipras et moi-même étions convaincus que nous allions perdre ce référendum.