« Lignes », trente ans d’engagement

La dernière livraison de la revue dirigée par Michel Surya fête trois décennies d’intervention politique et littéraire. Entre exigence et résistance.

Olivier Doubre  • 8 novembre 2017 abonné·es
« Lignes », trente ans d’engagement
© photo : Patrice TOURENNE / Photononstop / AFP

A près plus de 18 500 pages, Lignes célèbre sa trentième année, au-delà de toute espérance. En général, la longévité d’une revue ne dépasse pas une génération, pas plus de 20-25 ans et lorsque certaines y parviennent, leur portée culturelle décline rapidement devant l’influence d’une nouvelle génération. La persistance de Lignes témoigne donc de sa position singulière dans le champ intellectuel français. » C’est ainsi qu’Adrian May, jeune chercheur « qui [a] à peine plus que l’âge de la revue » (selon le mot de Michel Surya) à laquelle il a consacré sa thèse de doctorat, salue, dans l’ultime article de cette livraison, le rôle bien particulier de Lignes, née durant les pires « années d’hiver libérales » de la bien peu enthousiasmante décennie 1980.

Si Lignes ne s’est jamais posée en avant-garde théorique, comme d’autres revues dans le passé (à l’instar de Tel Quel, par exemple, maoïste au début des années 1970), Michel Surya insistait déjà, lors du vingtième anniversaire, sur le fait que l’objectif avait toujours été « de créer un espace intellectuel et politique relativement ouvert, plutôt que de délimiter une position définie ». C’est sans aucun doute l’une des raisons de la richesse et de la diversité de ses interventions dans de multiples domaines. Son fondateur et directeur tient aussi à rappeler que, depuis son premier numéro, Lignes n’a jamais connu qu’une époque où « la régression l’emporte partout ». Une régression « politique (identitaire, religieuse, raciale, policière) et une régression sociale », telle la marque d’un temps où « les enjeux d’émancipation ne prévalent plus, après qu’ils ont longtemps prévalu ». Ce qui fait de Lignes une revue de résistance à cette régression tous azimuts, « qui a trente ans avec ce numéro. Qui ne les fête pas pour autant. Qui n’a rien à fêter, sinon d’avoir survécu à ce qui aurait dû la faire disparaître. Qui persiste donc. Ou re-commence ».

Comme pour souligner cette présence durable, ou plutôt obstinée, dans le débat intellectuel francophone, ce numéro a pour titre « Ici et maintenant », se caractérisant, contrairement à l’usage habituel, par « l’absence d’un thème (unique) » afin que « chacun qui y a été invité y écrive ce qu’il veut ». Cette cinquante-quatrième livraison de Lignes brille ainsi par un sommaire prestigieux, réunion de ces « invités » « faite pour témoigner de la réciprocité de l’amitié politique, intellectuelle, esthétique et personnelle ». Leur énumération (non exhaustive) provoquera à tout le moins l’envie de lecture : Jean-Luc Nancy, Pierre Guyotat, René Schérer, Georges Didi-Huberman, Sophie Wahnich, Louis Sala-Molins… Longue vie à Lignes !

« Ici et maintenant. Lignes : 1987-2017 »

Revue Lignes n° 54, octobre 2017, 236 p., 20 euros.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Michaël Fœssel : « Nous sommes entrés dans un processus de fascisation »
Entretien 24 avril 2025

Michaël Fœssel : « Nous sommes entrés dans un processus de fascisation »

Dans Une étrange victoire, écrit avec le sociologue Étienne Ollion, Michaël Fœssel décrit la progression des idées réactionnaires et nationalistes dans les esprits et le débat public, tout en soulignant la singularité de l’extrême droite actuelle, qui se pare des habits du progressisme.
Par Olivier Doubre
Rose Lamy : « La gauche doit renouer avec ceux qu’elle considère comme des ‘beaufs’ »
Entretien 23 avril 2025 libéré

Rose Lamy : « La gauche doit renouer avec ceux qu’elle considère comme des ‘beaufs’ »

Après s’être attaquée aux discours sexistes dans les médias et à la figure du bon père de famille, l’autrice met en lumière les biais classistes à gauche. Avec Ascendant beauf, elle plaide pour réinstaurer le dialogue entre son camp politique et les classes populaires.
Par Hugo Boursier
Sur le protectionnisme, les gauches entrent en transition
Idées 23 avril 2025 abonné·es

Sur le protectionnisme, les gauches entrent en transition

Inflexion idéologique chez les sociaux-démocrates, victoire culturelle pour la gauche radicale… Face à la guerre commerciale de Donald Trump, toutes les chapelles de la gauche convergent vers un discours protectionniste, avec des différences.
Par Lucas Sarafian
Médecine alternative : l’ombre sectaire
Idées 16 avril 2025 abonné·es

Médecine alternative : l’ombre sectaire

Un rapport de la Miviludes met en lumière un phénomène inquiétant. Depuis la pandémie de covid-19, l’attrait pour les soins non conventionnels s’est accru, au risque de dérives dangereuses, voire mortelles.
Par Juliette Heinzlef