Notre-Dame-des-Landes : Un projet alternatif en béton

Les opposants à Notre-Dame-des-Landes affûtent depuis des années leurs arguments pour démontrer que l’aéroport actuel de Nantes-Atlantique n’a pas besoin de déménager dans le bocage nantais.

Vanina Delmas  • 29 novembre 2017 abonné·es
Notre-Dame-des-Landes : Un projet alternatif en béton
© photo : LOIC VENANCE/AFP

La longévité de la lutte contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes tient en grande partie à la ténacité et à la créativité des opposants sur le terrain. Mais, en parallèle, un bataillon de neurones bénévoles s’est organisé pour déconstruire pièce par pièce les arguments des pro-aéroport. Ingénieurs, architectes, pilotes de ligne, chefs d’entreprise, élus, naturalistes, agriculteurs, avocats, statisticiens, simples citoyens dévoués… La richesse de leurs rangs leur a permis de bétonner leur discours prônant l’optimisation de Nantes-Atlantique, l’actuel aéroport, comme solution viable. Une alternative qui avait été évacuée sans ménagement par la déclaration d’utilité publique (DUP) en 2008, mais que les experts-citoyens ont présentée aux médiateurs. Décryptage.

Économie

Les justifications successives des pro-aéroport

L’utilité supposée de Notre-Dame-des-Landes s’évalue aussi à la variabilité des motifs avancés par ses promoteurs. Les priorités ont évolué à mesure que les arguments précédents perdaient de la force.

Au départ, c’est la saturation « inéluctable » de l’aéroport de NDDL. Or, d’autres équipements européens similaires absorbent sans problème la croissance du trafic (par ailleurs très surestimée). Puis l’emploi : 3 600 postes créés. Mais, en heures de travail, il ne s’agirait que de 400 équivalents temps-plein pendant quatre ans. Puis, quand la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) étudie enfin la mise à niveau de Nantes-Atlantique, elle conclut curieusement que ça reviendrait aussi cher que le nouvel aéroport. Avec un chenil facturé 600 000 euros, la sincérité de l’étude est interrogée.

Ensuite, le projet serait plus écolo que les écolos, « protégeant » le lac de Grand-Lieu (menacé par Nantes-­Altantique, décidément sac à maux), à « énergie positive » grâce à 500 000 m2 de panneaux solaires, etc.

Après juin 2016, on brandit la « consultation pour avis ». Et enfin le bruit : le trafic aérien de Nantes-Atlantique bloquerait le développement de l’agglomération nantaise. L’expertise indépendante du cabinet Adecs (voir ci-dessus) relativise considérablement ce dernier argument pro domo.

Patrick Piro

Dans le contrat de concession de Notre-Dame-des-Landes, Aéroport du Grand Ouest (AGO), filiale de Vinci, estimait le coût du transfert de l’aéroport à 556 millions d’euros. Dans son cahier « finances », le collectif Atelier citoyen assure que « conserver Nantes-Atlantique en le rénovant coûte 8 à 10 fois moins cher », pour la même période et le même nombre de passagers. Or, celui-ci a déjà dépassé les 4 millions prévus, et devrait atteindre les 9 millions en 2050. Selon les calculs du collectif, tous les acteurs engagés dans ce projet seraient gagnants : les dividendes de Vinci (concessionnaire de Nantes-Atlantique !) seraient plus importants, l’impôt sur les sociétés empoché par l’État dépasserait les frais de résiliation dus à Vinci (250 millions d’euros), et les collectivités locales éviteraient de payer les subventions, la moitié de la desserte routière et le tram-train, très coûteux. « Elles seront seulement taxées pour prolonger la ligne du tramway jusqu’à Nantes-Atlantique, qui, au passage, desservira la zone industrielle d’Airbus, où travaillent 7 500 personnes », précise Jean-Marie Ravier, chef d’entreprise et ingénieur qui a notamment travaillé sur les volets « finances » et « emplois » de l’Atelier citoyen.

En épluchant le plan d’affaires de Vinci, l’Atelier citoyen a constaté que la ligne « frais de fonctionnement » diminuait de 25 % pour Notre-Dame-des-Landes. Or, derrière « frais de fonctionnement », il faut comprendre « frais de personnel ». En toute logique, une nouvelle structure est plus performante, car optimisée et mieux équipée. Mais les cadences de travail seront certainement augmentées. Chiffrée, la perte d’emplois prend tout son sens. Selon les estimations de Vinci sur quarante ans, le futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes emploiera 2 360 personnes en 2054, dans l’hypothèse (peu probable) où il reste ultra-productif. En cas de maintien à Nantes-Atlantique, il est question de 2 700 travailleurs. « Il faut envisager cette problématique au sens large, sans oublier les emplois agricoles existant sur la zone, et les emplois indirects qui en découlent : les coopératives, les collectes de lait… », explique l’ingénieur.

Pour l’Atelier citoyen, l’un des points régulièrement oubliés dans le volet « économie » concerne les taxes d’aéroport. « Aujourd’hui, Nantes-Atlantique est une star des aéroports régionaux, car très rentable (65 millions d’euros de chiffre d’affaires et 15 millions d’euros de résultat) et compétitif, affirme Jean-Marie Ravier. Ce ne sera pas le cas avec Notre-Dame-des-Landes : la taxe d’aéroport sera plus chère et sa croissance diminuera, car les compagnies aériennes low cost sont moins attirées par les structures chères. »

Écologie

Au bout de la piste sud de Nantes-Atlantique, la réserve naturelle du lac de Grand-Lieu déploie ses richesses. Mais, selon les partisans du transfert d’aéroport, les aigrettes, grands cormorans, passereaux et autres canards vivraient mal la cohabitation avec les oiseaux de fer. Même Manuel Valls s’est emparé de cet argument : le projet de NDDL « est bon pour l’environnement, parce que l’actuel aéroport de Nantes est au contact de trois réserves Natura 2000, dont le réservoir à oiseaux du lac de Grand-Lieu », déclarait-il devant le Sénat en octobre 2015.

Or, c’est plutôt l’inverse : « Le périmètre de l’aéroport limite la construction et les incidents liés à l’urbanisation, notamment les problèmes de qualité d’eau. Il joue donc un rôle protecteur pour le lac de Grand-Lieu », explique Jean-Philippe Rigal, du collectif des Naturalistes en lutte. Des observations confirmées par Loïc Marion, chercheur au CNRS et ancien directeur scientifique de la réserve naturelle, et par une note de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) des Pays-de-la-Loire. Double peine pour l’environnement en cas d’aboutissement du projet, puisque la biodiversité du bocage de Notre-Dame-des-Landes serait coulée dans le béton.

L’État et Vinci ont évidemment prévu des compensations écologiques, mais elles ont été pensées en contradiction avec la logique de la nature_. « Pour eux, ce n’est qu’un jeu mathématique : on détruit tant d’unités, on en recrée le même nombre ailleurs. Entre 700 et 900 hectares doivent être impactés suivant le projet, c’est impossible de compenser une telle surface de zone humide d’un seul tenant »_, s’indigne le naturaliste. En outre, les contrats avec l’exploitant prendraient fin au bout de neuf ans, alors que la restauration d’un écosystème exige des dizaines d’années.

Pour Me Thomas Dubreuil, avocat des associations historiques, l’Acipa et le Cédpa, le ciment du problème est plus global : « Tout découle de la notion d’utilité publique, même quand il s’agit de juger des problématiques environnementales, même quand on pose la question des alternatives pour préserver des zones humides et certaines espèces. » Comme le campagnol amphibie. Un arrêté pris en septembre 2016 autorise la destruction de ce petit rongeur emblématique de la région, malgré l’avis négatif du Conseil national de protection de la nature (CNPN), qui considère qu’il y a atteinte sur l’espèce.

Nuisances

Nantes-Atlantique a battu un record en novembre : le cap des 5 millions de passagers a été franchi. Le mirage d’un aéroport au bord de l’asphyxie réapparaît dans les discours. Or, cette « saturation » serait rapidement absorbée grâce à des travaux, notamment sur l’aérogare. Des investissements soigneusement évités par Vinci depuis des années. Les pro-NDDL ont également dégainé l’arme infaillible (selon eux) : le bruit. Selon la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), 42 000 riverains sont en zone de nuisance. Ils seront 57 900 en 2030 contre 2 700 pour un aéroport dans la zone rurale de Notre-Dame-des-Landes. De leur côté, les opposants dénoncent un plan d’exposition au bruit (PEB) périmé puisqu’il a été réalisé en 2003. « Les trajectoires d’approche ont changé, le nombre de mouvements d’avions n’est plus valable, car le nombre de passagers par avion augmente, et, comme la flotte se renouvelle, les avions sont de plus en plus silencieux », décrit Franco Fedele, un architecte impliqué dans le collectif Atelier citoyen. À Toulouse les populations soumises au bruit aérien sont dix fois plus nombreuses qu’à Nantes, mais le préfet a renoncé à son projet de transfert d’aéroport, reconnaissant que cela ne concernera pas davantage de personnes dans les années futures.

Pour éclaircir ce sujet en vue de la médiation, l’Atelier citoyen et le Cédpa ont commandé une étude d’impact au cabinet indépendant hollandais Adecs-Airinfra, qui avait déjà analysé le sujet en 2013. En se fondant sur l’hypothèse d’un trafic de 9 millions de passagers d’ici à 2040, les experts ont fourni de nouvelles cartographies : les superficies des périmètres de bruit de 2025 et de 2040 sont plus faibles de 45 % par rapport à celles du PEB en vigueur. L’État ne pourra pas rester sourd plus longtemps à de telles évidences.

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