Peine de mort : Mille ans d’un débat capital

Benoît Garnot retrace l’histoire de la peine de mort en France, du Moyen Âge jusqu’à son abolition sous l’égide de Robert Badinter en 1981.

Olivier Doubre  • 15 novembre 2017 abonné·es
Peine de mort : Mille ans d’un débat capital
© photo : Le 17 juin 1939, à Versailles, la dernière exécution publique en France, celle d'Eugène Weidmann (STF/AFP).

N ous pénétrâmes comme d’habitude par la petite porte sur le côté, par où passent les avocats, les visiteurs. J’avais gardé mon laissez-passer à la main. Quelques mètres encore, une autre porte à franchir. J’entrai dans la cour. La guillotine était là. Je ne m’attendais pas à la trouver tout de suite devant moi. Je m’étais imaginé qu’elle serait cachée quelque part, dans une cour retirée. Mais c’était bien elle […]. Je me détournai. Nous entendîmes le claquement sec de la lame sur le butoir. C’était fini. »

Robert Badinter raconte ainsi, dans son livre L’Exécution (Grasset, 1973), le terrible moment où, en tant qu’avocat, il vient assister à la mise à mort des deux criminels Buffet et Bontems – qu’avec ses trois confrères il n’est pas parvenu à sauver et qu’il verra, dira-t-il dans une plaidoirie suivante, « coupés en deux ». Le 17 septembre 1981, devenu garde des Sceaux, il prononce, dans un discours historique magnifique et vibrant plaidoyer, les mots suivants : « Cette justice d’élimination, cette justice d’angoisse et de mort, décidée avec sa marge de hasard, nous la refusons. Nous la refusons parce qu’elle est pour nous l’anti-justice, parce qu’elle est la passion et la peur triomphant de la raison et de l’humanité. »

Entre ces deux textes, en l’espace de huit ans, se trouve en quelque sorte résumée l’histoire d’un combat contre une justice cruelle et sanglante, fondée sur la loi du talion, aussi ancienne que les sociétés humaines. Une justice, dit Robert Badinter, « sûre de son infaillibilité au point de dire que celui-là peut vivre et que celui-là doit mourir »

C’est là toute la richesse de ce livre passionnant, alternant textes choisis et commentaires introductifs, qui retrace d’abord plus d’un millénaire de supplices et de vengeances. Parmi tous ces documents rassemblés par Benoît Garnot, professeur émérite d’histoire moderne, on découvre ou relit les descriptions glaçantes d’exécutions, longtemps publiques, des assassins roués, les chairs éclatant sous les coups, l’écartèlement de Ravaillac ou la décapitation du duc de Montmorency (peine « moins » terrible, réservée alors aux nobles). On lira notamment, non sans effroi, la lettre très technique du citoyen et bourreau de Paris Charles-Henri Sanson, datée de 1791, expliquant méticuleusement « les difficultés de la décapitation » à l’épée, qui exige que « l’exécuteur se trouve très adroit, le condamné très ferme, sans quoi l’on ne parviendra jamais à terminer cette exécution avec l’épée sans qu’il arrive des scènes dangereuses ».

Le débat se poursuit sur plus d’un siècle, avec des surprises quant à certaines prises de position, à l’instar de Rousseau ou de Kant, plutôt favorables, ou de Robespierre, qui paradoxalement signe un texte vigoureux contre la peine capitale. Au-delà de ces engagements individuels et intellectuels, le clivage sur la peine de mort apparaît comme une question civilisationnelle passionnée, donnant in fine à voir le degré de violence – pour ne pas dire de barbarie – qu’une société est prête à accepter en son sein.­

La Peine de mort en France, du Moyen Âge à 1981 Benoît Garnot, Belin, 268 p., 17 euros.

Idées
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