Pillage des ressources et néocolonialisme : de l’argent d’esclaves à l’or

Jérôme Duval, du CADTM, revient sur l’exploitation du sol des pays colonisés par les pays colonisateurs, et ses désastreuses conséquences, depuis Christophe Colomb jusqu’à aujourd’hui.

Jérôme Duval  • 30 novembre 2017
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Pillage des ressources et néocolonialisme : de l’argent d’esclaves à l’or
© photo : mine d'uranium d'Areva à Arlit (Niger). ISSOUF SANOGO / AFP

Suite aux voyages de Christophe Colomb, l’invasion espagnole dévaste royaumes et régions entières, les dépeuplant et les brûlant. Les Indiens accueillent pourtant les chrétiens du mieux qu’ils peuvent, souvent en offrant hébergement, nourriture et quantité d’or. Les colons espagnols, quant à eux, répandent presque systématiquement la peur, massacrent, torturent ou brûlent les Indiens dès leur arrivée afin d’assurer leur domination et de faciliter leur colonisation.

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Bartolomé de las Casas, un des rares à dénoncer cette extermination au moment des faits, décrira l’horreur avec laquelle ces tyrans décimèrent les populations originaires [1]. Les grandes puissances coloniales, le Portugal, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni, la Hollande et la Belgique principalement, ont provoqué la mort d’une grande partie des populations autochtones des Amériques, d’Asie et d’Afrique afin d’en soustraire les ressources naturelles (or et argent en premier lieu), de les exploiter et d’en tirer un maximum de profit.

Milliards d’onces d’argent

En l’an 1545, la découverte de Potosí, une énorme mine d’argent de l’actuelle Bolivie (qui à l’époque appartenait au Pérou), marque le début de l’expropriation des richesses du sous-sol latino-américain. Vers 1571, on commença à employer le mercure pour amalgamer l’or et accroître son extraction sans présager pour autant les graves problèmes de pollution environnementale que cela supposait ni les dommages que cela allait engendrer sur les mineurs contaminés. En 1572, Francisco de Toledo, cinquième vice-roi du Pérou, fit élargir les rues, commença la construction de l’église de la Matriz et de la Casa de Moneda où, dès le 28 mars 1574, on frappait le métal en monnaie.

La ville de Potosí détenait le gisement le plus important du monde dans le ventre du Cerro Rico, « la colline riche », remplie d’argent. Son ascension est fulgurante. « Dix-huit mois après sa fondation, elle compte 14 000 habitants et vingt ans plus tard 100 000 ; au XVIIe siècle, elle en hébergera 160 000, et sera alors, avec Mexico, la ville la plus peuplée d’Amérique », nous dit Fernand Braudel [2]. En effet, à son apogée, vers 1580, Potosí, malgré la rudesse des conditions climatiques, compte plus d’habitants que Madrid, Séville ou Rome. Elle devient la ville est la plus peuplée du « Nouveau Monde » et la plus opulente de la région. Elle abritera 36 églises, plusieurs théâtres et écoles de danse, quantité de maisons de jeu et de somptueuses demeures appartenant aux riches colons espagnols.

Des milliards d’onces d’argent sont extraites par le travail forcé sous la colonisation espagnole. Des milliers d’esclaves africains ont été conduits de force dans les mines pour remplacer et pallier la perte de milliers d’autres indigènes morts au travail. L’extorsion de cet argent a servi à gonfler le trésor du roi Charles Quint, à alimenter les caisses du Royaume d’Espagne pour financer ses guerres et, au-delà de l’Europe, au développement du commerce avec la zone la plus développée de l’époque, l’Asie.

La monnaie issue du travail d’esclaves à Potosí contribua au développement du capitalisme et de la révolution industrielle. Mais à quel prix ? « Chaque peso frappé à Potosí a coûté la vie à dix Indiens, morts au fond des mines », écrivait Fray Antonio de la Calancha en 1638. Qu’en est-il de l’énorme quantité d’argent extrait de la mine de Potosí à la sueur des mineurs-esclaves amérindiens et africains lorsque l’on voit l’état de pauvreté de la ville du même nom [3] ?

Il est tout à fait raisonnable d’affirmer que l’expropriation des ressources et le commerce qui s’en suivit via la colonisation sont en grande partie à l’origine de la richesse actuelle des puissances coloniales. Pour ne prendre qu’un exemple, Bruxelles ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui sans le pillage opéré au Congo belge. Outre l’exploitation de la force de travail esclavagiste et la fortune colossale des métaux précieux extorqués, notamment or et argent, les Européens n’auraient pas eu accès à la soie et au coton, à la technique du verre soufflé, à la culture du riz ainsi qu’à celle de la pomme de terre, à la tomate, au maïs, au tabac, au piment, au cacao d’Amérique, aussi rapidement sans l’entreprise dévastatrice de la colonisation.

L’or au mépris de l’humain et de son environnement

Le pillage des matières premières se poursuit encore aujourd’hui dans les colonies ou ex-colonies : à Arlit, dans le nord du Niger, Areva exploite l’uranium depuis 1976. Aujourd’hui, une bonne partie de cette région, balayée par les vents de sable, est contaminée [4].

« La Terre est notre mère, l’or est son cœur. Si on lui arrache, elle meurt », résumait Aïkumalé Alemin, Amérindien wayana de la région du Haut-Maroni. Le mercure utilisé par les orpailleurs en Guyane française empoisonne les populations amérindiennes vivant en forêt tropicale guyanaise. En effet, les Amérindiens sont contaminés par les poissons qui constituent une grande part de leur alimentation. « De nombreuses études scientifiques pratiquées sur les Indiens wayana ont confirmé que le niveau de mercure est jusqu’à deux fois supérieur au seuil fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). » [5] « Si rien n’est fait à court terme, on va vers une forme de génocide », dénonçait en 2014 Jean-Pierre Havard, responsable de Solidarité Guyane.

Avec des salaires de misère, 3 tonnes d’or sont extraites chaque année de Guyane française au péril de la santé des populations autochtones et de leur environnement. Au total, dix ethnies seraient menacées d’empoisonnement au mercure dans les pays de la région. Au Pérou, la contamination au mercure dans les eaux des rivières de l’Amazonie, due aux mineurs illégaux, va au-delà des zones d’exploitation aurifère. Dans le cas de la communauté nahua, qui se trouve dans la région d’Ucayali, à l’est du Pérou, la consommation d’un poisson-chat, le Mota Punteada (Calophysus macropterus) de son nom local, dont l’organisme a la capacité d’accumuler le mercure présent dans l’environnement, est la cause de cette contamination qui provoque notamment des problèmes rénaux sérieux et des cas d’anémie.

Selon le ministère péruvien de l’Environnement, 40 tonnes de mercure sont rejetées chaque année dans les eaux de l’Amazonie péruvienne par les chercheurs d’or illégaux [6]. Reconnaîtra t-on un jour l’empoisonnement des terres et rivières comme une dette écologique dont les peuples autochtones sont les créanciers ?

[1] Bartolomé de las Casas, Très brève relation de la destruction des Indes, publié en 1552.

[2] Fernand Braudel, Du Potosí à Buenos Aires : une route clandestine de l’argent, in Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 3e année, N. 4, 1948. pp. 546-550.

[3] Eduardo Galeano, Les Veines ouvertes de l’Amérique latine, Pocket, p. 25. Cette histoire implacable du pillage d’un continent de l’écrivain uruguayen est parue pour la première fois en 1971 et fut aussitôt censurée dès l’instauration de la dictature militaire dans son pays en 1973, ainsi qu’au Chili et en Argentine.

[4] La Colère est dans le vent (54 min, 2016, Niger/Bénin/France), documentaire de Amina Weira, dont le père a travaillé 35 ans à la mine d’uranium d’Areva à Arlit, dans le nord du Niger.

[5] Sur Tierra Incognita.

[6] Éric Samson, « Pérou : état d’urgence déclaré en Amazonie pour pollution au mercure », RFI, 31 octobre 2016.

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Tribunes

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