Discriminations en hausse
Un rapport révèle une explosion du nombre de personnes, en Île-de-France, déclarant avoir été discriminées, en particulier parmi les femmes et les musulmans.

À manipuler avec précaution. » L’avertissement aurait pu être inscrit sur la page de garde du rapport « Expérience et perception des discriminations en Ile-de-France [1] », tant les conclusions qu’il contient en font un bâton de dynamite pour le tissu social. Publiée le 19 décembre, l’enquête, réalisée en 2016 par l’Observatoire régional des discriminations, montre que, sur le territoire francilien, particulièrement cosmopolite (il regroupe près d’un tiers de personnes immigrées ou issues de l’immigration), les discriminations, notamment raciales, ont explosé.
Les personnes catégorisées « noires » (originaires des DOM et descendants d’immigrés d’Afrique subsaharienne) déclarent le plus haut niveau d’expériences de discrimination, avec 70 % d’entre elles qui en ont subi au cours de leur vie, et près des deux tiers au cours des cinq dernières années – à l’instar des personnes classées comme « Arabes ». Une discrimination massive et à peu près stable dans tous les domaines (accès au logement, à l’emploi…), que les auteurs qualifient de « particulièrement préoccupante ».
Mais si les chiffres des déclarations augmentent, les raisons de cette montée en puissance ne sont pas identiques : « Il faut regarder le contexte dans lequel ce type de discriminations a lieu, explique Patrick Simon, démographe à l’Institut national d’études démographiques (Ined), qui a copiloté l’étude. Pour les femmes, cette augmentation des déclarations est sans doute moins due à une recrudescence massive du sexisme qu’à une sensibilité accrue à cette question, et donc une meilleure identification des discriminations. » Ce sont d’ailleurs les femmes cadres – les plus exposées au plafond de verre – qui déclarent le plus subir des inégalités de traitement.
Du côté des musulmans, en revanche, « il y a certes une prise de conscience qui fait que les personnes identifient mieux les discriminations, mais on ne peut pas s’empêcher de faire aussi l’hypothèse que les débats sur le terrorisme ou la laïcité ont entraîné des comportements plus discriminatoires ».
N’empêche : à causes différentes, effets similaires. L’enquête analyse les comportements d’autocensure mis en œuvre pour ne pas avoir à subir l’expérience discriminatoire. Et ils sont largement partagés : évitement de certains lieux publics pour 6 femmes sur 10, dissimulation de leur religion par un quart des musulmans sur leur lieu de travail, et sentiment de devoir « en faire plus » pour obtenir un emploi ou dans le cadre de son travail pour plus de deux tiers des personnes d’origine maghrébine. Alors que de mauvaises polémiques jetaient récemment l’opprobre sur les personnes issues de l’immigration, accusées d’être en première ligne dans le harcèlement de rue des femmes, l’enquête montre que les femmes et les minorités visibles sont à égalité de (mauvais) traitement dans l’espace public : c’est dans la rue et les transports qu’elles sont le plus exposées aux propos sexistes et aux injures racistes.
En creux, c’est une critique des politiques publiques de sensibilisation aux discriminations qui apparaît à travers ce rapport. Si les grandes campagnes médiatiques augmentent le « ressenti » discriminatoire, rien ne prouve qu’elles ont une influence positive sur la prise de conscience ou la diminution des actes. Au risque de mettre de l’huile sur le feu ? « Depuis plusieurs années, observe Patrick Simon, nous sommes face à une politique qui axe son action sur la prise de conscience à la fois des personnes discriminées, mais aussi des personnes qui discriminent. Ce que cela a de positif, c’est que l’augmentation de la prise de conscience et ses conséquences (plus de plaintes, d’actions en justice, plus d’intérêt médiatique) sont la seule manière de mettre ce problème à l’agenda politique. Mais, s’il n’y a que des campagnes de sensibilisation, on se contente de mesurer la température sans faire baisser la fièvre. »
Sauf que les modes d’action efficaces pour traiter le problème à la racine n’ont pas bonne presse. D’abord le « principe d’action préférentielle » (parité, discrimination positive à l’embauche…), qui trouve peu de défenseurs, même chez les personnes concernées : « Les places réservées en politique selon le sexe, ce qui est le cas aujourd’hui, font l’objet d’un désaccord majoritaire (59 % de personnes enquêtées sont contre) », pointe l’étude. « La manière dont le débat a été posé dans les médias a discrédité ces outils, regrette Patrick Simon. Résultat, on ne se donne pas les moyens de réduire réellement les discriminations. » Il y a pourtant urgence.
[1] Rapport sur l’enquête « Expérience et perception des discriminations en Ile-de-France », Observatoire régional des discriminations, sous la direction de Mireille Erbehard et Patrick Simon, mars 2016.
[2] Voir l’enquête « Trajectoires et origines » de l’Ined, 2008-2009.
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