Jean d’Ormesson, mortel parmi les immortels

L’académicien est décédé cette nuit d’une crise cardiaque, à l’âge de 92 ans.

Jean-Claude Renard  • 5 décembre 2017
Partager :
Jean d’Ormesson, mortel parmi les immortels
© photo : Martin BUREAU / AFP

Jean d’Ormesson aura donc connu la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade de son vivant deux ans durant. En 2015, sur papier bible, il rejoignait le club très fermé des auteurs à vivre cette consécration à valeur patrimoniale, comme Gide avant lui, Ionesco, Gracq, Saint-John Perse, Sarraute, Jacottet ou Yourcenar (Céline, lui, l’avait loupé de six mois).

Yourcenar, justement, c’est Jean d’Ormesson qui l’avait fait entrer à l’Académie française (où elle fut la première femme), en 1980, malgré l’opposition de plusieurs académiciens, hostiles à l’intrusion d’une femme sous la Coupole. Lui y avait été accepté, en presque fringant jeune homme, en 1973, à 48 ans, au fauteuil de Jules Romain. Il a alors seulement six ouvrages à son actif. Fils d’un diplomate à particule et d’une mère aux origines aristocratiques, né en 1925 à Paris, normalien, agrégé de philosophie, Jean d’Ormesson était entré à l’Unesco, en 1950, assistant de Jacques Rueff au Conseil international de la philosophie et des sciences humaines. Dans la foulée, avec Roger Caillois, il crée la revue de sciences humaines Diogène.

En 1956, il publie son premier roman, chez Julliard, L’amour est un plaisir. Il est remarqué, et aussitôt oublié après les échecs de ses romans suivants, Du côté de chez Jean et Un amour pour rien. Le succès littéraire, il le connaît chez Gallimard avec La Gloire de l’empire en 1971, couronné par le Grand Prix du roman de l’Académie française. Dès lors, le succès en librairie lui collera aux bottes.

Trois ans plus tard, en 1974, après avoir commencé dans le journalisme par des articles people pour Paris Match, il prend la direction du Figaro. Il reste à ce poste trois années, signant des éditos corrosifs et polémiques. Même après avoir quitté la direction du quotidien, il restera fidèle à son journal, frayant avec les grands de ce monde. Au reste, s’il n’aimait « pas la politique, mais plutôt le spectacle de la politique », il avait un certain goût pour côtoyer les présidents de la République, de Giscard d’Estaing à Chirac et Sarkozy, voire Mitterrand, qu’il a longtemps combattu avant de se rapprocher de lui. C’est assurément avec une certaine jubilation qu’il a endossé le rôle de Mitterrand au cinéma, en 2012, dans la comédie Les Saveurs du palais, aux côtés de Catherine Frot.

Incarnation d’une certaine France (mondaine), lyrique droitier, profondément conservateur, gaulliste, d’Ormesson se distingue surtout par sa faconde, son art de la conversation, sa jovialité, son sourire facétieux, son visage solaire, des yeux bleus rieurs et pétillants. Avec la volonté indécrottable de plaire (notamment aux femmes), persuadé de son talent d’orateur, quitte à cabotiner, avec Chateaubriand et la Bible pour livres de référence. Des livres qu’il n’a aussi cessé d’écrire (Dieu, sa vie, son œuvre ; Voyez comme on danse ; C’est une chose étrange à la fin que le monde ; Un jour je m’en irai sans avoir tout dit), une quarantaine environ, toujours avec succès – en attendant le dernier, prévu en 2018, au titre moqueur, Et moi je vis toujours.

C’est le paradoxe de Jean d’Ormesson : l’aristo s’est affirmé au fil des années comme une réelle figure populaire. Pas de hasard s’il a été l’auteur le plus invité sur « Apostrophes », s’il était de tous les plateaux. Et pourtant (a contrario de l’avalanche d’hommages), avec un style ultra-classique, désuet, parfois ampoulé, sans véritable inventivité, d’Ormesson savait lui-même que sa littérature ne valait pas tripette.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

La gauche et la méritocratie : une longue histoire
Méritocratie 17 décembre 2025 abonné·es

La gauche et la méritocratie : une longue histoire

Les progressistes ont longtemps mis en avant les vertus de l’école républicaine pour franchir les barrières sociales. Mais le néolibéralisme dominant laisse peu de chances aux enfants des classes populaires de s’extirper de leur milieu d’origine.
Par Olivier Doubre
Kaoutar Harchi, Dylan Ayissi : « Le mérite est une notion piège »
Entretien 17 décembre 2025 abonné·es

Kaoutar Harchi, Dylan Ayissi : « Le mérite est une notion piège »

Dans un entretien croisé, Kaoutar Harchi, autrice et sociologue, et Dylan Ayissi, président de l’association Une voie pour tous, remettent en question la notion de mérite dans un système scolaire traversé par de profondes inégalités.
Par Kamélia Ouaïssa et Hugo Boursier
« La société française a découvert que l’homosexualité a été réprimée jusqu’à récemment »
Entretien 17 décembre 2025 abonné·es

« La société française a découvert que l’homosexualité a été réprimée jusqu’à récemment »

Sociopolitiste et historien, Antoine Idier analyse les enjeux de la proposition de loi « portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 », en passe d’être votée ce jeudi 18 décembre 2025 par l’Assemblée nationale.
Par Olivier Doubre
Quand la justice menace (vraiment) la démocratie
Idées 11 décembre 2025 abonné·es

Quand la justice menace (vraiment) la démocratie

De Marine Le Pen à Nicolas Sarkozy, plusieurs responsables politiques condamnés dénoncent une atteinte au libre choix du peuple. Un enfumage qui masque pourtant une menace juridique bien réelle : celle de l’arbitrage international, exercé au détriment des peuples.
Par François Rulier