Sécurité privée, violence légale ?
Les textes législatifs encadrent de plus en plus le secteur de la sécurité privée. Est-ce le signe d’un recul démocratique ?

D’ici à cinq ans, la France comptera sur son territoire plus d’agents de sécurité privée que de gendarmes et de policiers cumulés. Ils seront environ 320 000 en exercice. Difficile de prévoir leurs prochaines prérogatives tant les missions qui leur sont confiées aujourd’hui se multiplient, et prennent de l’importance. Dernière preuve en date : sous couvert de lutte contre le terrorisme, la loi d’octobre 2017, renforçant la sécurité intérieure, donne la capacité aux agents privés de participer aux palpations, au contrôle et à la fouille des sacs dans un périmètre de protection, sous l’autorité d’un officier de police judiciaire (OPJ).
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Cette mesure, passée de l’état d’urgence au droit commun, permet à un préfet de réglementer les accès à une zone qui serait exposée à un risque d’actes terroristes. La présence d’agents de la sécurité privée sur la voie publique est-elle contraire à l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? Celui-ci stipule que « la garantie des droits nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». L’OPJ devant superviser l’agent privé, l’article 12 est respecté. Même si, dans les faits, l’agent de sécurité pourrait très vite se retrouver seul, et agir sans contrôle. C’est ce que craignent certains syndicats.
Depuis la loi d’orientation et de programmation de la sécurité intérieure (LOPSI 1) du 21 janvier 1995, le cadre législatif n’a cessé d’évoluer en faveur d’une plus grande implication des agents privés. Dans son annexe I, elle affirme que « les activités de sécurité de nature privée concourent à la sécurité générale ». Les gouvernements et les employeurs se sont engagés ensuite dans la « coproduction » de la sécurité, un concept qui permet de concentrer tous les acteurs du secteur, y compris privés. C’est ce que reconnaissent les auteurs de l’étude d’impact de la loi d’octobre 2017, qui rappelle que « des évolutions jurisprudentielles ont rendu moins strictes les limites entre les secteurs public et privé ». « Une coopération » qui a donné « la possibilité pour des acteurs de la sécurité privée d’intervenir au titre de l’exécution de mesures de police, dans le cadre de limites strictes mais assouplies ces dernières années ».
Cet « assouplissement » se caractérise par plusieurs étapes : une loi de 2003 encadrant les activités privées, puis la LOPPSI 2 (à partir de 2009), élaborée par les ministres de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie et Brice Hortefeux. Le deuxième « P » introduit dans l’appellation de cette seconde mouture n’est pas anodin : il signifie « performance », et témoigne ainsi d’une évolution, entre 1995 et 2009, de la conception de la sécurité de la part des décideurs. Dans le numéro de mars 2012 des Cahiers de la sécurité [1], Jean-Louis Loubet del Bayle, professeur émérite de science politique à l’université de Toulouse-Capitole, détaille, pour les autorités publiques, « des avantages à court terme : mettre fin aux critiques dénonçant l’inefficacité de la police publique ; faire assurer les frais de ces pratiques au secteur privé et alléger d’autant les budgets publics ; limiter les sollicitations à l’égard des services de police publique et recentrer leur activité sur le “vrai travail policier” ».
L’emprise du secteur privé se limite-t-elle à une campagne marketing pour redorer l’image « d’efficacité » des policiers, et réaliser un vaste plan d’économie ? C’est aussi une volonté affirmée des gouvernements de responsabiliser les sociétés de sécurité privée, quitte à leur donner un rôle primordial. L’ex-ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, dans son discours aux Quatrièmes Assises de la sécurité privée en 2016, trouvait ainsi « très naturel d’instaurer l’obligation de signalement pour un agent de sécurité privé témoin d’un acte délictueux violent », une activité supplémentaire et symbolique dans la liste déjà longue des tâches qui incombent à ces agents. Tout en assurant par la suite : « Mon intention n’est pas de détourner vos agents de leurs missions, mais de leur donner la place qui leur revient dans notre dispositif de sécurité. »
Ce « dispositif » comprend [2], selon un encadrement assez strict, le port d’armes létales pour les agents privés sur « les lieux surveillés à un risque exceptionnel d’atteinte à leur vie », et non létales (gaz lacrymogène, tonfa) pour les agents de surveillance humaine « classique ». La violence légitime pratiquée par la police a longtemps participé à la construction et à l’affirmation de l’État. La privatisation de la sécurité participe-t-elle alors à sa démolition ?
[1] Cahiers de la sécurité, dossier « Sécurité publique, sécurité privée… partenariat ou conflit ? », éd. La Documentation française, mars 2012.
[2] Arrêté du 27 février 2017, relatif à la formation continue des agents privés de sécurité.
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