Migrants : Après l’enfer, le retour ?

Face à l’échec ou au danger, certains migrants sont contraints de rentrer chez eux. Une pratique encouragée et encadrée.

Hugo Boursier  • 10 janvier 2018 abonné·es
Migrants : Après l’enfer, le retour ?
© photo : Des migrants nigérians arrivent à Lagos, rapatriés depuis la Libye, le 23 mars 2017.PIUS UTOMI EKPEI/AFP

Survivre, fuir des violences ou des répressions, subvenir aux besoins de la famille restée au pays, rêver à un avenir meilleur… Les motivations des 200 000 migrants qui ont traversé la Méditerranée en 2017 pour rejoindre l’Europe sont multiples et complexes. Mais un point commun relie tous ces parcours : le voyage demeure éminemment dangereux – il l’est même de plus en plus. Avec la fermeture du passage par les Balkans en 2016, le chemin de l’exil passe davantage par l’Afrique du Nord, obligeant les migrants à prendre la mer dans des conditions toujours plus déplorables : plus de 3 000 personnes sont mortes noyées ou asphyxiées sur des embarcations précaires en 2017, alors même qu’elles étaient moins nombreuses que l’année passée à avoir emprunté cette voie.

Assa Traoré « Les migrants qu’on maltraite aujourd’hui étaient nos parents hier, dans les années 1960-1970. Ce sont des gens qui cherchent à fuir des conditions de vie intenables, des États en guerre et prennent d’énormes risques. Rien que le trajet jusqu’à la côte méditerranéenne peut être un calvaire. On les met dans des camions remplis de bottes de foin pendant plus de 24 heures, ils n’ont pas le droit de sortir, même pour faire leurs besoins ; parfois on les met dans les roues des camions… Certains n’atteindront pas la France ou l’Italie et mourront en mer. Ceux qui y arrivent sont laissés à la rue, sur les abords du périphérique parisien… Un récent rapport d’Amnesty international pointe les violences faites quotidiennement aux femmes et aux enfants migrants à Calais, gazés a répétition. J’ai honte de ça. Personne ne peut assurer qu’il ne sera pas un migrant demain. »
Aux risques d’un péril maritime s’ajoutent les violences subies avant la traversée de la Méditerranée. Pendant leur périple à travers le désert du Sahara, par exemple, comme le montrent les images du documentaire Exode (2016) filmées par Alaigie, un Gambien de 21 ans. Le journal Jeune Afrique [1] raconte aussi l’histoire d’Abdou, de Mamadou et d’Issa, trois Guinéens venus de Conakry qui, après de longs mois d’attente de bateaux qui ne partaient jamais ou après avoir livré des centaines de milliers de francs CFA aux passeurs, ont décidé de rentrer chez eux. Un revirement parfois rendu impossible : certains passeurs obligent ces déçus de l’exil à embarquer de force pour éviter qu’ils ne racontent au retour les atrocités subies.

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C’est le cas en Libye, notamment, où ils sont nombreux à envisager de rebrousser chemin. Selon Andrej Mahecic, porte-parole de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 14 500 migrants y sont retenus dans des centres de détention officiels, et au moins 6 000 maintenus en captivité par les passeurs. Là-bas, la traite d’êtres humains a cours. Les images insoutenables de la chaîne américaine CNN, en novembre dernier, montrant des hommes qui attendent leur prix d’achat ont poussé plusieurs dirigeants de pays africains et européens à réagir – même si cette situation était dénoncée par des organisations telles qu’Amnesty International depuis plusieurs années.

Le sommet Union africaine-Union européenne organisé à Abidjan, en Côte d’Ivoire, les 29 et 30 novembre a ainsi affirmé la volonté de faciliter l’exfiltration des migrants retenus en Libye, afin de ramener ceux qui le désirent dans leur pays d’origine. Deux mesures spécifiques ont été évoquées : un accès facilité pour les organisations internationales et les autorités consulaires sur le territoire libyen, et une « coopération renforcée sur le plan sécurité et intelligence pour démanteler les réseaux de trafiquants », selon les déclarations d’Emmanuel Macron. La commissaire de l’Union africaine aux Affaires sociales, Amira Elfadil, a recensé pas moins de 3 800 Africains à évacuer de toute urgence.

Le 11 novembre dernier, l’ONU avait organisé une première opération permettant à vingt-cinq migrants originaires d’Érythrée, d’Éthiopie et du Soudan de quitter la Libye pour le Niger. Certains pays sont plus volontaristes, à l’image du Nigeria. Son ministre des Affaires étrangères, Geoffrey Onyeama, a déclaré le 6 janvier que deux avions allaient rapatrier 800 candidats au retour. Avec d’autres vols en prévision. « La réalité est qu’un grand nombre de ces Nigérians en Libye ont traversé une expérience extrêmement traumatisante. L’objectif principal est de ramener ces personnes à la maison le plus vite possible », a-t-il indiqué, estimant à 5 000 le nombre de ses concitoyens se trouvant sur des sites « accessibles aux services consulaires ».

Ces opérations sont rendues possibles grâce au soutien de l’Organisation internationale des migrations (OIM). À l’instar de celle du 22 novembre, par laquelle 250 migrants camerounais, après plusieurs années passées en Libye, se déclaraient volontaires pour revenir à Yaoundé [2]. Ce dispositif, l’Aide au retour volontaire et à la réintégration (AVRR), s’adresse aux « migrants qui veulent rentrer au pays mais qui n’en ont pas les moyens », c’est-à-dire aux « personnes dont la demande d’asile a été rejetée ou retirée, aux migrants en détresse, aux victimes de la traite et aux autres groupes vulnérables, dont les mineurs étrangers non accompagnés ou ceux qui ont des besoins en matière de santé », selon l’OIM. De janvier à avril 2017, selon les chiffres communiqués par l’organisation, 2 463 migrants bloqués en Libye ont ainsi pu être secourus. En plus du vol de retour, l’OIM participe à la recherche d’un logement, à l’accès à l’éducation et à la création de projets locaux.

Si l’AVRR permet de sauver certaines personnes des violences répétées ou des humiliations subies, d’autres ne conçoivent pas forcément le retour comme une bénédiction. « Ma famille s’attend à ce que je rentre chargé de cadeaux, alors que je n’ai rien à lui offrir… Que vais-je dire à mon fils, qui se vante devant ses amis à l’école que son père est en Europe et qu’il va bientôt le rejoindre ? », soupire Fabrice, un mécanicien gambien de 31 ans interviewé par le site Dune Voices.

Si le retour peut être vu comme le signe d’un échec pour certains, il l’est d’autant plus pour les pays hôtes qui n’ont pas pu – ou pas voulu – accueillir dignement ces traumatisés de l’exil. Et ce ne sont pas les pays d’Afrique qui ont bénéficié le plus de l’AVRR en 2017, mais l’Albanie, avec 4 241 personnes concernées. Selon les chiffres publiés le 8 janvier par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), c’est ce pays qui a formulé le plus de demandes d’asile en France l’année dernière.

[1] « Je ne voulais pas mourir : ces migrants qui ont choisi de rentrer chez eux », Jeune Afrique, 16 décembre 2017.

[2] Voir la vidéo sur France 24 : « De retour au Cameroun, des migrants racontent l’enfer en Libye », www.france24.com.

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