Demandeurs d’asile : Tout le monde au village

Depuis trois ans, la commune rurale de Pouilly-en-Auxois, en Côte-d’Or, accueille des demandeurs d’asile, logés sur réquisition de locaux par l’État. Expérience réussie. Reportage.

Olivier Doubre  • 7 février 2018 abonné·es
Demandeurs d’asile : Tout le monde au village
© photo : afp/JEAN-PHILIPPE KSIAZEK

Sa première réaction fut l’inquiétude. Accompagnée de quelques nuits blanches. Le maire de Pouilly-en-Auxois, Bernard Milloir, se remémore l’annonce par le ministère de l’Intérieur de la décision de loger sur sa commune quelques dizaines de migrants en provenance de la jungle de Calais, à peine démantelée. Mais, « de toute façon, c’était “oui, avec plaisir”, ou bien “oui” tout court ! Car c’était une décision de l’État, et nous n’avions pas d’autre choix que de nous y soumettre. C’est pourquoi j’ai dit tout de suite qu’il valait mieux faire cela le mieux possible. » Monsieur le maire reçoit alors le soutien actif des services de l’État dans sa démarche, qu’il tient à qualifier de « simplement humaniste, ni plus ni moins », mais aussi de la majorité de son conseil municipal. Ce qui n’allait pas de soi dans une zone rurale traditionnellement conservatrice, où le Front national frôle souvent les 35 % de voix.

« L’inquiétude était normale dans une commune de moins de 1 600 habitants, à la population vieillissante, puisque l’arrivée de 87 migrants au départ représente une hausse de plus de 5 % de la population. Et puis il ne faut pas oublier le contexte : nous sommes début février 2015, soit un mois après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, et alors qu’une grosse bagarre entre migrants a eu lieu quelques jours auparavant à Calais. »

Le choix de l’État de réquisitionner les locaux de l’ancienne gendarmerie de l’autoroute A6 (Pouilly est à une intersection entre la bretelle rejoignant Dijon et l’axe Paris-Lyon) pour installer un Atsa (Accueil temporaire au service de l’asile) provoque tout de suite un large intérêt de la presse locale, nationale et même internationale pour ce premier établissement en zone rurale en France. Mais aussi quelques remous politiques, avec des déclarations fracassantes du Front national – qui semble d’abord se frotter les mains –, alimentant des rumeurs délirantes, comme celle selon laquelle les migrants seraient installés dans l’ancien « château du village », alors qu’ils se partagent de petits appartements ou studios, à deux, trois ou quatre, dans ce qui ressemble surtout à une HLM des années 1970.

Aujourd’hui, trois ans après son ouverture, le centre (géré par Adoma, ancienne Sonacotra) accueille une soixantaine de demandeurs d’asile, tous des « hommes isolés », la plupart originaires de la corne de l’Afrique (Somalie, Érythrée, Éthiopie ou Soudan), et quelques Afghans. Leurs empreintes digitales ont été enregistrées pour la constitution de leurs dossiers, en phase d’instruction. La proportion de personnes admises au titre de l’asile, peut-être grâce à leurs dossiers finalisés avec l’aide soignée de la petite équipe d’Adoma, est bien supérieure à la moyenne nationale (qui tourne autour de 25 %). Ainsi, sur les 87 accueillis en 2015, 43 ont obtenu le statut de réfugié, dont 22 orientés vers un hébergement en résidence sociale. Trois, déboutés, ont quitté le territoire.

Corinne Fournier, la directrice du centre, secondée par ses deux adjointes, raconte combien « il a fallu faire de la pédagogie, au départ, pour réussir une nécessaire immersion dans le territoire ». En plus du travail social, cœur de leur mission, les trois jeunes femmes ont dû œuvrer dans un contexte assez difficile : « Il n’y avait pas de précédent en France d’une telle installation en zone rurale, mais nous avons eu la très grande chance d’avoir le soutien sans faille d’un maire extrêmement humaniste, sans connaissance du sujet au départ, mais tout de suite très présent, tout en respectant le travail notre équipe. » L’édile a « su faire face à sa population, contribuant essentiellement, avec nous, à faire tomber les a priori ». Saluant l’engagement de Bernard Milloir et des services de la mairie (comme le centre social de la commune, qui s’implique beaucoup dans le dispositif), elles soulignent plus généralement « l’exemplarité des citoyens de Pouilly, qui ont joué le jeu en prenant le risque de l’inconnu ».

L’extrême droite a bien tenté d’instrumentaliser la situation. Le groupuscule de Carl Lang, ancien député européen FN à la tête depuis du Parti de la France (PDF), a échoué à organiser une manifestation à Pouilly en 2016. Relégués dans la zone industrielle à la sortie de la commune, le centre leur ayant été interdit par la préfecture, les marcheurs ne sont qu’une poignée, alors qu’un rassemblement spontané des Polliens occupe toute la place du village, avec de nombreux commerçants heureux de l’arrivée de ces nouveaux « clients » dans la commune. L’extrême droite ne s’y réessayera pas. Et le maire est heureux de dire, aujourd’hui, que « le FN ne progresse plus du tout dans la commune »

Si l’afflux massif de journalistes a été complexe à gérer – « certains se cachaient même dans les poubelles autour du centre, au tout début ! » –, ils ne sont plus les bienvenus, sans pour autant être chassés. Peu d’habitants acceptent de répondre aux questions à propos des demandeurs d’asile, qu’ils voient finalement assez peu ou qui se sont très bien intégrés. Les réfugiés fréquentent assidûment le centre social, où sont dispensés des cours de français et d’initiation aux principes de la citoyenneté française, et où ils sont tenus de remplir des fiches d’émargement. D’autres contribuent à la vie associative, au club de foot ou de badminton. Pour ceux qui ont connu un parcours de vie difficile ou un périple souvent terrible à travers le Sahara et la Méditerranée, l’atelier « L’Arbre à palabres » se tient deux fois par mois avec l’intervention de psychothérapeutes.

Récemment, les habitants ont été heureux de voir nombre de ces nouveaux villageois participer à la journée civique, durant laquelle ils ont nettoyé ensemble les rues et les espaces communaux. Surtout, après un travail intensif de l’équipe du Centre pour l’insertion et l’accès à l’emploi, un certain nombre de résidents ayant obtenu le statut de l’asile ont trouvé du travail, essentiellement dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, qui peine à embaucher malgré un taux de chômage important dans la région. Quelques-uns ont ainsi décroché des CDI de cuisinier, de commis ou de serveur, quittant même les résidences sociales pour s’installer dans des logements autonomes. D’autres sont stagiaires ou ont bénéficié de contrats de saisonniers dans des hôtels ou des restaurants, y compris de luxe, dans cette région à la gastronomie réputée. L’un d’entre eux est aujourd’hui apprenti en électricité ; un autre, petite fierté de l’équipe du centre, suit même un BTS de travailleur social.

Corinne Fournier et ses deux adjointes sont fières de ce travail pionnier accompli, qui connaît une réussite incontestable. On ne parle plus tellement de ces nouveaux Polliens, plutôt discrets en somme. Le buraliste, d’ailleurs, ne tient pas tellement à répondre à un journaliste, l’incitant à aller voir ailleurs en lui disant : « Il n’y a pas de migrants, il n’y a que des clients. » Corinne Fournier se rappelle avoir eu pour objectif premier d’instaurer un « double accueil : pour les migrants et pour la population de la commune ». Et le maire – qui a reçu la Légion d’honneur le 1er janvier 2017 pour le travail accompli – tient à souligner que, tout d’abord, il n’a « rien demandé et a accueilli ces gens comme n’importe quel nouvel arrivant dans la commune, qu’il soit noir, jaune, vert ou rouge, avec chacun les mêmes droits et les mêmes devoirs ». Aujourd’hui, pour lui, « c’est surtout un non-événement ! »