Et rougir de plaisir

Pour Adrien Quatennens, l’intérêt général passe par l’adoption d’un décorum cocardier.

Sébastien Fontenelle  • 14 février 2018 abonné·es
Et rougir de plaisir
© photo : BERTRAND GUAY / AFP

L’autre jour, Adrien Quatennens, député de la France insoumise, a fait à deux journalistes du Journal du dimanche d’Arnaud Lagardère [1] – juste avant de leur expliquer qu’il n’est, quant à lui, pas du tout contre l’idée de nouer une alliance avec des « socialistes » – cette poignante déclaration : « Les gens ont davantage envie de nous écouter. Pour moi, cela s’explique par notre nouvelle méthode : nous voulons arrêter de revendiquer sans arrêt les codes de la gauche radicale. Le gros changement entre 2012 et 2017, c’est qu’on a rompu avec les fonds de scène rouges, avec cette imagerie. Notre seule trajectoire aujourd’hui, c’est l’intérêt général. »

Cette affirmation est intéressante : son articulation est intéressante. Pour ce qu’elle énonce – et pour ce qu’elle tait ou occulte.

Que dit en effet Adrien Quatennens ? Il dit, avec des mots où l’on pourrait presque entrevoir l’amorce du commencement d’un début d’hautain dédain, que c’est parce qu’ils sont, « aujourd’hui », uniquement guidés par « l’intérêt général » que les gens de la France insoumise veulent « arrêter de revendiquer sans arrêt les codes de la gauche radicale » et qu’ils ont « rompu avec les fonds de scène rouges, avec cette imagerie ».

Et que ne dit-il pas ?

Il ne dit pas, par exemple, ce que sont « les codes de la gauche radicale » dont la France insoumise se serait jusqu’à « aujourd’hui » prévalue mais qu’elle veut désormais « arrêter de revendiquer ». Et cette ellipse, que ses intervieweurs ne relèvent bien sûr pas, est assez commode, car elle le dispense d’expliquer pourquoi son parti devrait « arrêter » de « les revendiquer ».

Surtout, Adrien Quatennens omet – avec, il est vrai, la complicité active des journalistes d’Arnaud Lagardère, qui lui font la grâce de ne pas le pousser dans ce retranchement – de préciser que sa formation n’a pas seulement « rompu avec les fonds de scène rouges, avec cette imagerie », mais qu’elle lui a, dans le cours de la dernière campagne présidentielle, substitué une autre dénotation, assez connotée, où les drapeaux rouges ont en effet été remplacés par des drapeaux tricolores, et « L’Internationale » supplantée par « La Marseillaise ».

De sorte que, pour être vraiment complet, Adrien Quatennens aurait dû préciser que « l’intérêt général », tel que le conçoit dorénavant, et selon lui, la France insoumise, ne passe pas seulement – il faut y insister un peu, car c’est tout sauf insignifiant – par le renoncement à ce qu’il appelle dédaigneusement « les codes de la gauche radicale », mais aussi et surtout par l’adoption de tout un décorum cocardier – ou patriotard – qui, de fait, rappelle assez « les codes » de la droite, jusque dans ses composantes les plus radicales.

Et, quant à moi, je connais plein de gens à qui ça ne donne pas – du tout, du tout – « davantage envie » de l’écouter (et qui jugent plutôt que notre « intérêt général » serait que la gauche ne se laisse plus emmener trop loin dans l’« imagerie » de ses adversaires de toujours) : des radicaux, sans doute.

[1] Haut lieu fameux de l’insoumission journalistique.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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