La mort du rail

On sait que ces ventes par lots se sont, jusqu’à présent, partout soldées par des catastrophes.

Sébastien Fontenelle  • 21 février 2018 abonné·es
La mort du rail
© photo : Matt Cardy / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images/AFP

Aux journalistes affectés à l’apologie de la « réforme » annoncée de la SNCF qui lui demandent si elle va « toucher au statut des cheminots » [1], Élisabeth Borne, ministre des Transports, fait, après avoir récité que « le statu quo n’est pas possible », cette réponse : « Le monde a changé. Est-ce normal que malgré cela la définition des métiers ferroviaires soit restée figée ? »

L’on est pris, lorsqu’on lit ça, d’élans contradictoires et de l’envie, par exemple, d’applaudir d’abord à tant de sincérité dans le mépris ostentatoire – car il est tout de même assez rare que des gouvernant(e)s exhibent aussi ouvertement leur intention de ne pas même faire semblant d’avoir autre chose à dire, sur un sujet donné, que de bouffonnes balivernes.

Puis ensuite, on veut passer outre cette morgue bornée, pour remontrer à la ministre que dans le « monde changé » dont elle parle, la pire fixité n’est certes pas celle de « la définition des métiers ferroviaires » – qui de nos jours ne diffèrent que peu de ce qu’ils étaient naguère –, mais celle, par exemple, qui fait qu’un ministre que deux plaignantes accusent d’avoir abusé d’elles reçoit immédiatement, de l’Élysée et de Matignon, le plein « soutien » de ses hiérarchies…

Et que, de ce statu quo-là du moins, pour autant qu’on le sache, elle ne s’offusque guère – non plus – que de celui qui fait que sa France maintient en rétention, au Mesnil-Amelot, un bébé de 13 mois.

Mais à la toute fin, on veut plutôt concéder à Mme Borne qu’en effet – c’est très finement observé – ce « monde » a « changé » : il a ceci de nouveau, et de fort intéressant, que l’on y est très au fait des effets de la « réforme » qu’elle préconise aujourd’hui pour la SNCF, et qui est peu ou prou la même qui a déjà été imposée à France Télécom, puis à La Poste – liste non exhaustive, hélas.

Et que l’on sait, notamment, que ces ventes par lots [2] se sont, jusqu’à présent, partout soldées par des catastrophes d’autant plus révoltantes qu’elles étaient annoncées, et à chaque fois plus prévisibles. Car, c’est un fait parfaitement documenté : les méthodes de management dans lesquelles seront évidemment contraints demain les cheminots – comme hier les agent(e)s des ex-PTT – créent en tout cas de la souffrance et provoquent systématiquement ce que la presse, inconsciente peut-être qu’il n’y a là aucun ressac, appelle des « vagues de suicides ».

En d’autres termes, la « réforme » de la SNCF est potentiellement mortifère – selon la définition la plus figée que le dictionnaire donne de cet adjectif : elle risque de provoquer ou d’entraîner, comme cela s’est vu ailleurs, la mort d’un grand nombre de personnes.

Nul ne peut aujourd’hui prétendre l’ignorer, ni ne pourra nier l’avoir su – et il serait peut-être temps que cela entraîne enfin un changement de la définition du métier de ministre.

[1] Et qui se gardent par ailleurs, très précautionneusement – et comme ils font toujours lorsque vient pour eux le temps de préparer les esprits au bris délibéré d’un service public –, de lui poser la moindre question réellement dérangeante.

[2] Puisque c’est toujours de cela qu’il s’agit in fine.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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