Le Kosovo célèbre ses dix ans d’indépendance

En Europe, c’est le dernier pays à avoir proclamé son indépendance, il y a une décennie. Reportage à Pristina, où toute la ville était en fête ce samedi.

Hugo Boursier  • 18 février 2018 abonné·es
Le Kosovo célèbre ses dix ans d’indépendance
© Photo : Hervé Bossy

Sur la place Zahir-Pajaziti, l’artère principale de Pristina, difficile de se frayer un chemin tant la foule est dense. Ce samedi 17 février, la population de la capitale du Kosovo célèbre la première décennie d’indépendance du pays. Il y a dix ans jour pour jour, après neuf ans de protectorat international régi par les Nations unies, dans le cadre de son opération de maintien de la paix [1], les institutions provisoires du pays proclamaient l’indépendance du Kosovo. À partir de cette date, l’ONU a transféré à l’Union européenne quelques-unes de ses prérogatives, notamment la supervision de l’État de droit. La présence armée de l’Otan a toutefois été maintenue, et l’est encore aujourd’hui.

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Dix ans après, les pages troubles du passé kosovar ne sont pas encore totalement tournées – le président actuel, Hashim Thaçi, et son Premier ministre Ramush Haradinaj, ont tous les deux joué un rôle actif dans l’Armée de libération du Kosovo (UÇK), pendant la guerre de 1998-1999. Respectivement cofondateur du PDK (Parti démocratique du Kosovo), et de l’AAK (Alliance pour l’avenir du Kosovo), ils cristallisent la déception à l’égard de la classe politique, soupçonnée de corruption généralisée. Mais la population kosovare, originaire d’Albanie à 90 %, peut enfin vivre dans un sentiment de liberté, impossible lorsqu’elle était sous domination serbe – et c’est surtout cette liberté qui est fêtée ce samedi dans les rues bondées de Pristina. « La situation politique est loin de me satisfaire, mais aujourd’hui, personne n’a la tête à cela. Notre indépendance nous a permis d’être un pays libre. C’est ce que nous espérions. J’en suis fier », lance Défrim, 29 ans, à côté de ses deux amis.

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Durant toute la semaine, la ville s’est peu à peu transformée pour célébrer l’événement : des ballons jaunes et bleus ornent les lampadaires, plusieurs panneaux successifs en forme de « 10 » sont disposés sur la place pour que les enfants les traversent, sous les flashs des smartphones de leurs parents. Dès jeudi soir, une centaine de personnes s’était rassemblée pour assister à un concert un peu particulier : des soldats de l’US Air Force reprenaient des tubes – « Hey Jude » des Beatles, des chansons de Bruno Mars ou Pharrell Williams – devant une foule conquise. Pour une partie de la population, les États-Unis bénéficient toujours d’une image plutôt positive : son armée est vue comme libératrice, et ils jouent le rôle de pays d’accueil pour la diaspora qui a les moyens de s’y rendre.

Sous un soleil radieux, ce samedi, c’est donc tout naturellement que le drapeau américain croise celui bleu et jaune du Kosovo et celui de l’Albanie, orné d’un aigle noir à deux têtes. Sur le boulevard Mère-Teresa (qui était albanaise), qui s’étend à partir de la place Zahir-Pajaziti, des parents ont compris qu’il valait mieux longer les façades des bâtiments pour pouvoir avancer sans risquer de lâcher la main de leurs enfants. Nombreux sont ceux qui se dirigent plus bas vers une patinoire, où les petits peuvent s’essayer au sport de glisse sous l’œil concentré de jeunes volontaires venus encadrer l’animation.

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Au-dessus du spectacle, un écran géant retransmet les Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang, en Corée du Sud. Pour la première fois de son histoire, le Kosovo est représenté dans cette compétition, avec le skieur alpin Albin Tahiri. Pour les Jeux d’été à Rio, en 2016, huit athlètes avaient pu concourir dans cinq disciplines. Cette participation est toute sauf anodine : le Kosovo est toujours en quête de légitimité en Europe et dans le monde. Aujourd’hui, cinq pays de l’UE ne reconnaissent pas son indépendance : l’Espagne, la Grèce, Roumanie, la Slovaquie, et Chypre. C’est aussi le cas de la Russie et de la Chine, qui siègent au Conseil de sécurité de l’ONU.

En novembre 2015, le pays a bien cru pouvoir adhérer à l’Unesco. Mais, avec 92 votes pour et 50 contre, il n’avait pas atteint la majorité des deux tiers. Parmi les pays qui s’y étaient opposés, on trouve sans surprise la Serbie. Pour Belgrade, le Kosovo demeure encore une province serbe. C’est là l’un des blocages qui empêchent les deux pays de rentrer dans l’UE. Or l’intégration européenne du Kosovo, conditionnée également par la lutte contre la corruption, est une volonté partagée par la majorité de l’opinion publique. Selon le dernier rapport de la Commission européenne, publié le 6 février dernier, le Kosovo reste un « candidat potentiel », tandis que la Serbie et le Monténégro pourraient être intégrés en 2025.

Une fois la nuit tombée, la foule s’amasse devant la grande scène installée sur la place Skanderbeg. Avant de s’y rendre à leur tour, Fatlind aide son père à vendre quelques souvenirs patriotiques : des drapeaux, des porte-clefs ou encore des chapeaux traditionnels. L’étudiant de 21 ans se réjouit d’un possible accord frontalier entre son pays et le Monténégro, annoncé par le président Hashim Thaçi vendredi 16 février au soir. La résolution de ce différend territorial était l’une des conditions principales posée par l’UE pour supprimer l’obligation de visa pour les citoyens du Kosovo. « J’espère que l’on pourra bientôt voyager librement en Europe ! », lance-t-il avec un grand sourire. Le compromis doit encore être soumis au Parlement kosovar. Le jeune homme poursuit : « Mais ne parlons pas de cela ce soir… » Déçue par les partis traditionnels, la jeunesse du pays parle souvent de politique avec des accents de rejet. Mais pas question d’amertume en ce jour historique pour elle et son avenir.

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[1] Maintien d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (Minuk)

Monde
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