Réformes : Et maintenant, le service public

Le gouvernement a dévoilé les contours de sa « loi travail » pour la fonction publique. Réitérant les recettes expérimentées sous Nicolas Sarkozy, en y ajoutant une attaque frontale contre les syndicats.

Erwan Manac'h  • 7 février 2018 abonné·es
Réformes : Et maintenant, le service public
© photo : AFP/JACQUES DEMARTHON

Les termes employés et les remèdes prescrits font penser aux coups de boutoir de Nicolas Sarkozy et aux ritournelles provocatrices de Pierre Gattaz, le patron du Medef. Le 1er février, au sortir d’une réunion interministérielle sur la réforme de l’État, le Premier ministre, Édouard Philippe, et le ministre de l’Action et des comptes publics, Gérald Darmanin, ont lancé la bataille du service public.

Sur le fond, rien de bien nouveau. La suppression de 120 000 postes de fonctionnaires figurait au programme du candidat Macron. Ministre, ce dernier avait déjà déclaré souhaiter appliquer au secteur public les méthodes de management du privé et « assouplir » le modèle social des fonctionnaires (individualisation des salaires, recul des droits syndicaux).

Ce qui surprend en revanche, c’est la célérité du gouvernement. Comme depuis le début du quinquennat, il conjugue un discours ambitieux sur la concertation avec une politique du fait accompli qui place les syndicats au pied du mur. Il ouvre une concertation qui devra durer un an… en livrant ses conclusions. Il en va ainsi du « plan de départ volontaire », mesure la plus marquante de cette série d’annonces.

Il existe déjà, depuis 2008, un dispositif permettant aux fonctionnaires de démissionner en empochant un « pécule de départ » correspondant à deux ans de salaire, sans droit au chômage. Mais cette disposition n’a séduit que peu de volontaires. Afin de rendre la mesure plus attractive, le gouvernement entend aligner 700 millions d’euros, dans des modalités qui restent à déterminer par la concertation d’ici à la fin de l’année. Notamment pour savoir si les fonctionnaires sur le départ auront droit au chômage. Car si jusqu’à présent les fonctionnaires, parce qu’ils ont la sécurité de l’emploi, ne cotisaient pas à l’assurance chômage, ils n’avaient pas le droit aux indemnités en cas de démission. Subrepticement, leur situation a changé depuis le 1er janvier 2018, avec le basculement d’une partie du financement de l’assurance chômage sur la CSG, dont ils s’acquittent. Le débat sur le « plan de départ volontaire » dans la fonction publique constitue donc insidieusement une première remise en question de la sécurité de l’emploi dans la fonction publique. Statut que le gouvernement entend justement « adapter » et « assouplir ».

L’annonce de l’ouverture d’un « plan de départ volontaire » démontre aussi et surtout la volonté du gouvernement de supprimer au forceps les 120 000 postes inscrits au programme présidentiel, en fermant des pans entiers de l’administration. Les 34 experts de formation économique ou issus du monde financier qui composent le « Comité action publique 2022 », lancé en octobre, devront dire lesquels, début avril. En attendant, le message du gouvernement sonne comme un avertissement envers les agents dont le service sera supprimé : ils pourront prendre le chèque ou accepter leur mutation.

Se taire, c’est aussi ce qui sera demandé aux syndicats, au nom d’un « dialogue social plus fluide […] dans une philosophie similaire à celle de la loi Travail » revendiqué par les ministres Gérald Darmanin et Olivier Dussopt, dans un courrier adressé le 2 février aux organisations syndicales représentatives de la fonction publique. La recette est identique à celle imposé dans le privé par les ordonnances. Avec une refonte des instances représentatives du personnel et la suppression des comités d’hygiène et de sécurité (CHSCT), fusionnés dans un « conseil social et économique » qui réduit le nombre de représentants et d’heures de délégation.

Les grands préceptes du management par la performance devront également être appliqués à la fonction publique, pour créer « un environnement de travail modernisé » : rémunération individuelle et « au mérite », évaluation accrue… Au nom d’une gestion « agile » et « souple » des ressources humaines, le gouvernement entend également multiplier les recrutements de contractuels. Une tendance déjà à l’œuvre (21,7 % des salariés de la fonction publique sont recrutés ainsi), qui accroît la précarité et fait gonfler la « masse salariale » des services. Car un contractuel « coûte » en réalité plus cher qu’un fonctionnaire : il paye des cotisations chômage et a généralement, notamment dans la haute fonction publique, une évolution salariale plus rapide que ses collègues statutaires dont le salaire a de nouveau été gelé en juin. Peu importe ces données sonnantes et trébuchantes. Le gouvernement s’en tient aux préceptes de l’idéologie managériale.

Ce plan, qui doit accompagner une refonte en profondeur de l’appareil d’État, au nom de la baisse des dépenses publiques et de la transformation numérique, aura, in fine, d’énormes conséquences sur le quotidien des Français, par un recul important des services publics, déjà fragilisés, au profit d’une logique marchande. Et ce, au nom d’un discours désormais largement installé dans le paysage, selon lequel la France serait malade d’un niveau de dépenses publiques trop élevé.

Les chiffres publiés en décembre par l’organisme de réflexion et d’expertise de Matignon, France Stratégie, réfutent pourtant clairement cette idée. La France, avec un taux de 123 emplois de service public pour 1 000 habitants, se situe dans la moyenne des pays européens. À quasi-égalité avec le Royaume-Uni (121,4) et loin derrière la Suède (158), le Danemark (156) et la Norvège (186). L’étude de France Stratégie note également que les frais de fonctionnement de l’administration française « hors personnel » sont relativement faibles (5,1 % du PIB en 2015), bien moins qu’au Royaume-Uni (8,8 %) ou qu’au Danemark (9 %). Et ce, en raison d’un recours moindre à la sous-traitance. Preuve supplémentaire que le recours au privé, pour des missions de service public, est un gouffre financier.

Le débat sur cette thérapie de choc devrait ponctuer l’année 2018. Une méthode de concertation doit être discutée en plénière d’ici à la fin du mois de février. Suivront des réunions bilatérales jusqu’aux annonces définitives, à l’hiver prochain. Les neuf confédérations de fonctionnaires devaient se réunir le 6 février pour évoquer une stratégie commune. Mais les dissensions traditionnelles ne devraient pas se résorber. Avec d’un côté, les syndicats favorables à une mobilisation en amont des annonces : la CGT, Solidaires et, cette fois-ci, Force ouvrière. De l’autre, la CFDT ne devrait pas soutenir d’appel à mobilisation durant le temps de la concertation, même si Laurent Berger, son secrétaire général, a dénoncé ce week-end « un gros problème de méthode », reprochant au gouvernement de donner « dès à présent une partie des conclusions » de la concertation. Si l’exécutif espère un remake du débat sur ses ordonnances sur le code du travail et l’échec de la contestation, il s’attaque désormais à une frange de la population qui jouit, encore, d’une capacité de mobilisation collective.

Économie Société
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