Espagne : les municipalités réduisent leur dette, celle de l’État marque un nouveau record

Jérôme Duval et Ángel Ambroj rappellent dans cette tribune que la vague de coupes budgétaires censée résoudre le problème de l’endettement public n’a servi à rien.

Ángel Ambroj  et  Jérôme Duval  • 14 mars 2018
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Espagne : les municipalités réduisent leur dette, celle de l’État marque un nouveau record
Le ministre des Finances Cristobal Montoro Romero.
© DANI POZO / AFP

La dette publique espagnole clôture l’année 2017 avec un nouveau record historique de 1 444 milliards d’euros, alors que les municipalités réduisent leur dette et que le gouvernement poursuit l’application des coupes d’austérité à tout-va dans le budget.

Si nous observons la dette par rapport au PIB – l’indicateur de référence des institutions qui prend en compte la croissance économique, comptabilisant l’armement ou les activités illégales comme la prostitution, le trafic de drogue ou de contrebande, mais qui ne considère pas le travail invisibilisé des femmes au foyer, entre autres choses –, celle-ci a légèrement baissé fin 2017, à 98,08 % du PIB, par rapport aux 98,98 % qui ont clôturé l’année 2016. Cependant, en réalité, la dette poursuit sa hausse, mais le fait moins vite que le PIB, qui inclut aussi l’inflation, et cela donne la sensation que la dette va en diminuant… et surtout, cela permet au déjà ex-ministre de l’Économie, Luis de Guindos, de respecter son engagement envers l’Union européenne de passer, tout juste, sous le seuil des 98,1 %.

Avec la Plateforme pour un audit citoyen de la dette, « Nous ne payons pas, nous ne devons rien ! », nous voulons conter une autre réalité. Nous souhaitons rappeler qu’avant le début de la crise, en 2007, la dette publique espagnole atteignait les 384 milliards d’euros, équivalent à 35,5 % du PIB et que celle-ci frôle désormais les 100 % du PIB. Ainsi, la vague de coupes budgétaires d’une extrême violence que le bipartisme a imposées (le Parti socialiste ouvrier espagnol d’abord, le Parti populaire ensuite), pour résoudre le problème de la dette en dédiant tout simplement le plus de ressources au paiement de celle-ci, n’a pas tant servi comme nous l’ont vendu les politiques de ces deux partis.

© Politis

Alors que l’argent consacré à la dette publique s’engouffre dans une tirelire infinie qui permet de sauver des projets pourtant voués à l’échec, comme le Projet Castor [1] ou diverses autoroutes privées, tous les investissements sociaux perdent, comme par enchantement, leur capacité de financement public.

Malgré les discours de politiciens affirmant que la situation s’améliore, et même si l’objectif fixé pour l’année 2017 a été atteint, la situation ne cesse d’empirer depuis que la crise a éclaté il y a près d’une décennie. Selon les dernières données publiées par la Banque d’Espagne, la dette de l’ensemble des administrations publiques augmentait de 5,8 milliards d’euros en un mois, de novembre à décembre, et de 37,4 milliards sur un an, comparé à décembre 2016, ce qui représente 3,4 % d’augmentation, pour atteindre le nouveau record historique de 1 144 milliards d’euros en 2017.

Ce niveau d’endettement est insoutenable : 9,4 % du total du budget 2017 se sont évaporés en paiement des intérêts. Plus de 30 milliards d’euros, au-delà des prestations chômage (plus de 18 milliards).

La dette municipale sous les 3 % du PIB fin 2017

L’ensemble de cette augmentation est principalement dû à l’État central, et non aux administrations municipales qui sont tant persécutées par le ministre des Finances Montoro à travers son arsenal législatif. Celles-ci ont pourtant diminué leur endettement jusqu’à faire passer leur dette en dessous de la limite des 3 % du PIB. Cela représente 29 milliards fin 2017, ce qui suppose une baisse de 3 milliards par rapport à l’année précédente. De fait, depuis 2012, la dette des « administrations locales », c’est-à-dire des municipalités, ne cesse de se réduire, passant de 44 à 29 milliards d’euros.

© Politis

Le ministre Montoro qui harcèle tant les municipalités et leurs plans économiques financiers (PEF) quand il est en désaccord avec leurs politiques en matière sociale, ferait mieux de s’occuper de ses propres comptes avant d’invalider un PEF comme celui de Madrid par exemple [2].

En conclusion, malgré le geste de José Luis Rodríguez Zapatero envers les investisseurs avec le changement de la Constitution – via un pacte entre le PSOE et le PP –, pour donner la priorité absolue au paiement de la dette, quels que soient les besoins de la population en termes de services publics, nous n’atteignons toujours pas le chiffre magique dont les traités parlent tant. Selon la AIReF Autoridad Independiente de Responsabilidad Fiscal, l’Autorité indépendante sur la fiscalité), avant 2035 il ne sera pas possible d’atteindre le seuil des 60 % du PIB, limite établie dans le Traité de fonctionnement de l’Union européenne et incorporée dans la Constitution. Un panorama catastrophique pour la citoyenneté de l’État espagnol alors que De Guindos empochera 915 euros brut par jour pour s’asseoir dans son fauteuil de la BCE.

[1] Le projet Castor est un projet très controversé qui vise à stocker dans des poches souterraines du gaz naturel à 20 km des côtes espagnoles. Le 26 septembre 2013, suite à des centaines de secousses sismiques, le ministre de l’Industrie ordonne la suspension de l’opération. En attendant, l’État doit éponger la facture…

[2] Jérôme Duval, « Tragédie à la grecque à la mairie de Madrid ? », 20 décembre 2017.

Article publié dans le journal espagnol El Salto.

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Tribunes

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