Protectionnisme : pourquoi Trump a tort

La crise écologique nous interdit le repli sur la nation.

Thomas Coutrot  • 14 mars 2018 abonné·es
Protectionnisme : pourquoi Trump a tort
© MANDEL NGAN / AFP

La décision de Donal Trump d’augmenter les droits de douane sur l’acier permet-elle enfin d’ouvrir un débat interdit par le consensus néolibéral [1] ? Sans doute, mais de la pire des façons : chauvine, raciste et impérialiste. L’internationalisme ouvrier voulait à tout prix éviter d’opposer les travailleurs de part et d’autre des frontières, afin d’harmoniser leurs conditions de vie par le haut, grâce à la lutte commune. Cela n’a jamais été facile, et ça l’est de moins en moins : la fragmentation du salariat a sapé les identités de classe et fait émerger les identités et les replis nationaux comme un refuge, notamment pour les ouvriers de Whirlpool ou de Détroit. D’où la popularité du protectionnisme unilatéral. Or, ce refuge est illusoire. Le réchauffement climatique, les pollutions qui détruisent les écosystèmes, l’extinction massive des espèces (à commencer par les insectes pollinisateurs) ou encore les pandémies se moquent des frontières. On se dirige vers un réchauffement de plus de 3 °C, aux conséquences planétaires catastrophiques. Bien plus que l’unité rêvée de la classe ouvrière mondiale, la crise écologique crée les bases objectives de l’unité réelle de l’humanité : question de survie. Elle nous interdit le repli nostalgique sur une nation « protégée » (de qui ?) et nous oblige à inventer un nouvel internationalisme. Qui ne sera pas celui du prolétariat, mais celui des habitants de la Terre.

Comment donner une voix et une puissance politique à cette solidarité mondiale vitale que le mouvement ouvrier n’a pu construire ? Les décisions protectionnistes unilatérales des pays riches ont-elles la moindre chance d’y contribuer ? Évidemment non, bien au contraire. Elles ne font que renforcer l’idéologie « America First », « La France d’abord » et autres nationalismes bornés. Le libre-échange est une absurdité sociale et écologique. Il faut bien sûr relocaliser les économies. Mais, pour réduire les flux de marchandises, il existe des mesures de nature coopérative et écologique : comme la taxation kilométrique et carbonique. Pourquoi se replier sur des outils aussi agressifs et chauvins que les droits de douane aux frontières, quand on pourrait imaginer une taxe kilométrique s’appliquant aussi bien aux exportations qu’aux importations ?

Bien sûr, cela ne suffira pas. Les États néolibéraux – et leurs frontières – sont aujourd’hui des obstacles à une politique mondiale solidaire. Le capital financier les a gangrenés. Pour les reconstruire, nous devrons partir des luttes sociales et écologiques réelles, dont les enjeux dépassent largement les frontières. Il faudra développer et relier ces mouvements pour leur donner la puissance nécessaire à la (re)construction d’États, de fédérations et d’alliances nouvelles. Mais, dans cette stratégie que doit porter le mouvement mondial pour la justice sociale et climatique, les droits de douane ne seront pas un axe majeur, à moins de penser, comme Trump, qu’un nouvel ordre international doit être fondé sur le chacun-chez-soi et la planète à vau-l’eau.

[1] « Protectionnisme : et si Donald Trump nous aidait à penser ? », Dany Lang, Marianne, 9 mars.

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