Emmanuel Macron, le pouvoir et l’argent

En cherchant à déminer les risques de convergence des « colères » qui colorent la tension sociale, le chef de l’État a justifié sa politique par un discours libéral souvent repris du… vieux monde.

Pouria Amirshahi  • 16 avril 2018 abonné·es
Emmanuel Macron, le pouvoir et l’argent
© photo : Capture d'écran

Les amoureux et spécialistes des interviews présidentielles se feront un plaisir de décortiquer cet exercice inédit, qui marque un tournant bienvenu en la matière. L’affiche en elle-même avait une certaine intensité, qui devait sans doute autant au moment social exceptionnel de l’ère Macron qu’au duo inédit d’intervieweurs (Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel). La Syrie a donné le ton (voir l’article de Denis Sieffert) : la parole présidentielle ne suffira pas et les intervieweurs ne sont pas là pour servir la soupe. Ils se posent avant tout comme journalistes « relais » des citoyens. Côté Macron, les réponses se font sans notes, avec aisance. Les échanges sont directs, ce qui n’empêchera pas Emmanuel Macron d’emprunter parfois une langue de bois digne de « l’ancien monde » : _« Je veux qu’on réussisse » succède à « il faut chercher les causes et trouver les bonnes réponses » avant un « je veux relancer l’activité économique pour une plus grande cohésion sociale ».

Mais l’objectif du président de la République est clair : déminer les risques de convergence des « colères » qui colorent la tension sociale installée dans le pays. Certes, le fondateur d’En marche ! n’a pas manqué de rappeler qu’elles préexistaient à son élection, voire qu’elles en sont pour partie la raison… Une façon de répondre à Edwy Plenel qui lui rappelait son véritable péché originel de légitimité du fait des conditions de son élection.

« L’argent on le trouve… pour nos priorités »

Pas sûr qu’il soit parvenu à convaincre et à renouer le dialogue… notamment lorsqu’il livre son diagnostic. Ainsi par exemple quand il énonce que la crise dans les hôpitaux est d’abord la faute des citoyens « qui se rendent trop facilement aux urgences pour se faire soigner » (alors même qu’il reconnaît la grande difficulté à trouver des médecins dans certains territoires). Ou encore lorsqu’il refuse de concéder à Edwy Plenel la responsabilité des actuels dirigeants de la SNCF dans la situation des salariés. Sa persévérance à ne pas répondre à Jean-Jacques Bourdin qui a invoqué avec insistance le contraste saisissant entre ceux qui, depuis un an, s’enrichissent toujours plus et tous les autres ne l’aura pas aidé…

Emmanuel Macron a nettement justifié sa politique en faveur des plus riches, conçue comme le point de départ d’une relance du pays, qui, lui, devra attendre les effets bénéfiques de ces choix. En attendant, assume-t-il, « l’argent on le trouve… pour nos priorités ». Qui a dit qu’« il n’y a pas d’argent magique » ? S’il affirme « ne pas croire à la théorie du ruissellement » (NDLR : quand les riches iront mieux, les autres suivront), les premiers de cordée restent la cible car il demeure persuadé, comme François Hollande avant lui, qu’alléger leurs impôts évite qu’ils « quittent le pays » et leur permet au contraire de « réinvestir ».

Une rhétorique libérale et autoritaire

La rhétorique libérale est bien en place et s’il fallait bien qu’il se dise « intraitable contre la fraude fiscale » (entre 60 à 80 milliards d’euros par an), le président de la République n’a pas bougé d’un iota sur son agenda économique et fiscal. La redistribution n’est pas à l’ordre du jour, même s’il affirme comme presque tous les pouvoirs ou presque depuis Raymond Barre qu’il entend « baisser les cotisations de tous les travailleurs de France pour que le travail paie mieux ». Là encore, le vieux monde…

Sur le terrain des libertés publiques, c’est du Collomb sur toute la ligne. Autrement dit, face à la « tyrannie de certaines minorités », Macron veut croire « en l’ordre républicain » : répression à Notre-Dame-des-Landes contre les « occupations illégales », renvoi de tous les migrants non régularisés, maintien de l’autorisation de rétention des enfants car « sinon cela favorisera les filières ». Celui qu’on avait connu plus ferme sur les grands principes s’est même laissé aller de façon inquiétante à justifier les propos de Gérard Collomb sur le risque de « submersion migratoire » que courrait, selon lui, la France.

Des pistes de réformes imprécises

Tout au plus a-t-il ouvert un long catalogue de pistes de réformes sans jamais préciser les choses : une refonte générale des régimes de retraite en un seul dans les dix ans, une nouvelle répartition de la taxe foncière entre communes, régions et départements ; une adaptation du délit de solidarité ; une garantie d’incessibilité des titres publics dans la future SNCF (pourtant refusée lors du débat parlementaire) ; une reprise de la dette de la SNCF (46,6 milliards) mais qui « débutera à partir du 1er janvier… 2020 » ; l’annonce de « la fin de la T2A » (tarification à l’activité dans les hôpitaux) et d’une « meilleure politique de prévention » dans un plan de réforme de l’hôpital qui ne sera présenté que fin mai, ou encore la création d’un cinquième risque « grand âge » (ou « dernier âge ») de la Sécurité sociale pour faire face aux défis de la prise en charge du vieillissement. Même là, le libéralisme n’est pas loin ; il en est même tout prêt lorsqu’il dit sa préférence pour instaurer une deuxième journée de solidarité, après celle de la Pentecôte qu’avait décidée le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin en 2003 (c’est-à-dire une journée de travail non rémunérée…).

Enfin, dans un moment d’hésitation inhabituelle sur le thème de la laïcité, Emmanuel Macron a finalement osé répondre à un Bourdin soudainement crispé sur la question de l’islam qu’il « respecte » les femmes voilées, rappelant sa doctrine d’apaisement : « L’État est laïque, pas la société. »

Des non-dits révélateurs

Pas une seule fois, il n’aura évoqué l’écologie ou le climat. Il n’aura rien dit sur l’Europe, sauf pour en décrire lui-même les mécanismes d’évasion fiscale organisée de l’Irlande à Malte en passant par les Pays-Bas et le Luxembourg, parfois au profit de grandes fortunes françaises. Mais pas question de « donner des instructions à Bercy » contre le groupe Pinault qui aurait selon Mediapart « évadé » 2,5 milliards d’euros. Macron préfère affirmer platement qu’il entend œuvrer pour la _« convergence sociale et fiscale » entre les pays membres de l’Union. Velléitaire quand ça l’arrange, le président de la République, a affirmé « s ‘en remettre aux parlementaires », faisant ainsi mine de respecter un Parlement qu’il n’avait pourtant pas hésité à contourner lors des ordonnances sur la loi Travail notamment.

Après un an d’exercice, le téléspectateur aura aussi tenté de mieux connaître un homme qui était encore il y a deux ans un inconnu. Ils auront sans doute retenu quelques passages sur la vision d’Emmanuel Macron dans le rapport à l’argent et au pouvoir, deux questions auxquelles il n’a pas vraiment su répondre. Ni quand Edwy Plenel lui rappelait son propos sur « les riches (qui) n’ont pas besoin de Président, [car] ils se débrouillent bien tous seuls » comme si les riches étaient « en dehors de la République » pour reprendre la formule du journaliste… Ni à Jean-Jacques Bourdin qui demandait directement à un Président aux pouvoirs constitutionnels trop grands pour un seul homme : « N’êtes-vous pas dans une illusion puérile de toute-puissance » ? Emmanuel Macron s’est toutefois livré un peu par cette stupéfiante assertion : « Les ministres que j’ai choisis ont parfois fait des sacrifices, ils ont perdu beaucoup d’argent. » Les pauvres.

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