« Mes provinciales », de Jean-Paul Civeyrac : Projection de jeunesse

Dans Mes provinciales, Jean-Paul Civeyrac met en scène un étudiant en cinéma exigeant et rêveur qui se confronte à la réalité.

Christophe Kantcheff  • 18 avril 2018 abonné·es
« Mes provinciales », de Jean-Paul Civeyrac : Projection de jeunesse
© photo : Andranic Manet dans « Mes provinciales »nDR

Dans le récent film consacré à Jean Douchet (1), celui-ci conseille à ses trois jeunes interlocuteurs, les réalisateurs, admirateurs du critique et forcément passionnés de cinéma, de voir les films de Boris Barnet, ce qu’ils n’avaient jamais fait. Dans Mes provinciales, qui met en scène, de nos jours, des étudiants en cinéma, ceux-ci non seulement connaissent les films de Barnet, mais ils admirent un autre cinéaste russe, Marlen Khoutsiev. C’est dire si ces aspirants cinéastes ont des connaissances pointues. Inscrits à la faculté Paris-8, à Saint-Denis, ils forment un petit groupe d’intransigeants mené par Mathias (Corentin Fila), un garçon charismatique et mystérieux, toujours prêt à dégainer un avis tranchant.

Étienne (Andranic Manet) est lui aussi un de ceux-là, même s’il est plus réservé. Il est monté de sa province, dans la région de Lyon, et la première partie du film montre comment il coupe plus ou moins rapidement avec sa vie antérieure et sa petite amie, et la manière dont il s’installe dans sa nouvelle existence : colocation avec une fille et découverte du fait qu’il n’est pas le seul à avoir des rêves de cinéma en tête.

Il y a quelque chose d’étrange dans Mes provinciales : l’action se déroule de nos jours, et pourtant il y flotte un entêtant parfum de passé. L’utilisation du noir et blanc y est pour beaucoup, qui fait écho à des noms de cinéastes cités – Bresson, notamment. On songe surtout aux univers de Philippe Garrel et de Jean Eustache (La Maman et la Putain), qui planent en permanence sur le film. Les longues scènes dans des chambres ou des cafés avec des filles plus ou moins aimées mais indépendantes nous en rappellent d’autres, situées dans les années 1960 et 1970.

De même, ces étudiants aux goûts exigeants et aux choix excluants semblent peu synchrones avec notre présent. Non seulement parce que leurs discussions sonnent souvent faux, mais aussi parce que l’on sent, du côté de Jean-Paul Civeyrac, la volonté de maintenir, quelle que soit l’époque, la flamme d’une cinéphilie fervente et idéaliste. En cela, et parce qu’il y a un quart de siècle le cinéaste a lui-même débarqué de sa province pour faire du cinéma et a dirigé plus tard le département réalisation de la Femis, on l’imagine aussi proche du personnage d’Étienne que de celui de son professeur (Nicolas Bouchaud).

Le romantisme domine Mes provinciales, ce qui n’étonne guère de la part de l’auteur des Filles en noir (2010). Ici, ce n’est pas Kleist mais Nerval qui insuffle son feu, et Pasolini, dont les âpres Lettres luthériennes agitent les âmes. Ce romantisme est cependant inscrit dans un quotidien réaliste, où les ambitions artistiques se voient relativisées par la banalité d’un cursus à la fac. Jean-Paul Civeyrac oppose une certaine pureté des intentions à la tentation de la séduction, voire du commercial, à travers le personnage d’un étudiant, brocardé par nos intransigeants, adepte du giallo, ce genre qui mêle l’horreur et l’érotisme.

Ce n’est pourtant pas là que le cinéaste convainc le plus. Mais dans ce qu’il a peut-être le moins maîtrisé : Mes provinciales saisit ce sentiment, diffus mais enthousiasmant au présent, nostalgique a posteriori, que tout est possible. Étienne, en dépit de ses inhibitions nourries par l’ascendant qu’a sur lui Mathias, imprégné d’une culture uniformément légitime (Bach), est au seuil de sa vie créatrice. Même si, à Paris, il se confronte à une réalité qui n’était que fantasmatique lorsqu’il était en province, Étienne a devant lui un horizon de liberté dont la conquête ne dépend que de lui.

Si cette dimension reste implicite ou ne fait qu’affleurer dans les situations, elle traverse le film et participe de son idéalisme. Et finalement c’est une autre question qui émerge et nous concerne tous : que sont devenues les promesses que nous nous sommes faites ?

(1) Jean Douchet, l’enfant agité, de Fabien Hagège, Guillaume Namur et Vincent Haasser, cf. Politis n° 1488, du 25 janvier 2018.

Mes provinciales, Jean-Paul Civeyrac, 2 h 16.

Cinéma
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