Brutalité sociale et intelligence artificielle

L’intelligence humaine et sociale seraient des obstacles à la performance économique.

Geneviève Azam  • 3 mai 2018 abonné·es
Brutalité sociale et intelligence artificielle
© photo : ludovic MARIN / AFP

Depuis quelques mois, l’intelligence artificielle (AI) occupe les ondes. Colloques, symposiums, animations et installations du cyberart se multiplient. Le calendrier de cette mise en scène est instructif. Le 29 mars, suite à la remise du rapport parlementaire sur l’intelligence artificielle par le député Cédric Villani, Emmanuel Macron a prononcé un discours au Collège de France dans le cadre du colloque « AI for humanity ». Le même jour, il a donné une longue interview au magazine « techno-progressiste » et « techno-prophète » américain Wired : « L’intelligence artificielle va disrupter tous les modèles économiques que nous connaissons et je veux que nous en fassions partie. Je veux que nous ayons des champions de l’intelligence artificielle ici en France, et attirer les champions du monde entier (1). »

« Disrupter », un anglicisme venu des start-up de l’innovation pour signifier une rupture, et répété comme un mantra techno-branché. Pour cette disruption, 1,5 milliard d’euros seront débloqués. Bien peu finalement mais suffisamment pour comprendre que l’intelligence humaine et sociale – mise à part celle d’une élite – et l’intelligence de la nature ne sont plus suffisantes. Elles constituent même des obstacles nuisant à la performance économique d’une nation assimilée à un fichier clients et au label French Tech, dont il faut assurer la « souveraineté », selon la règle économique de la « souveraineté du consommateur ».

« En même temps », le 30 mars est alors la date fixée comme ultimatum pour Notre-Dame-des-Landes, lieu où s’expérimentent d’autres manières de vivre, de cultiver et d’habiter la Terre ; c’est aussi le moment du refus de négocier avec les cheminots, d’envisager des pistes alternatives au démantèlement du service public et le moment du démarrage de la grève ; c’est le moment du blocage des universités et l’annonce des interventions militaro-policières.

La brutalité et le mépris affichés face aux expressions d’une intelligence sociale, d’une expertise acquise dans des communautés humaines confrontées quotidiennement à des défis majeurs sont le pendant d’un appel à l’intelligence artificielle pour assurer la performance économique et l’innovation technologique. Qu’ont à dire les zadistes et les paysans face à une agriculture intelligente, pilotée par des algorithmes ? Qu’ont à proposer les étudiants et la communauté éducative face à l’efficience de la plate-forme Parcoursup pilotée par un algorithme « juste et transparent », chargé de faire le tri ? Que faire des cheminots face aux espoirs d’une mobilité « autonome », voiture et trains compris ? Se doter d’un train autonome d’ici à 2023, la SNCF en fait une des priorités de son programme de renouveau technologique TECH4RAIL. Enfin, que peuvent bien faire les usagers en comparaison du yield management, c’est-à-dire de l’optimisation du prix des billets par des algorithmes ad hoc ?

« En même temps », se conjuguent néolibéralisme et techno-totalitarisme.

(1) Voir ici.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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