La liberté aux oubliettes

Adapté par José Pliya, Un dimanche au cachot, de Patrick Chamoiseau, trouve en Laëtitia Guédon une interprète magnifique pour dire l’enfermement d’hier et d’aujourd’hui. Et la résistance.

Anaïs Heluin  • 30 mai 2018 abonné·es
La liberté aux oubliettes
photo : L’Oubliée, incarnée par Laëtitia Guédon, puise dans la douleur une conscience d’elle-même qui la fortifie.
© Baptiste Muzard

Comme le conteur éponyme de Solibo Magnifique (1988), qui semble continuer de parler après s’être définitivement écroulé en plein carnaval ; comme l’homme-monde Balthazar Bodule-Jules dans le bien nommé Biblique des derniers gestes (2002) et la plupart des héros de l’écrivain Patrick Chamoiseau, l’Oubliée a quitté le monde des vivants sans avoir atteint l’au-delà. Dans le roman-poème Un dimanche au cachot (2007), son histoire côtoie celle de Caroline, une jeune délinquante d’aujourd’hui recueillie dans un centre de rééducation. Mais, pour son adaptation théâtrale, José Pliya n’a retenu que sa voix. Une voix du passé esclavagiste, dont la comédienne Laëtitia Guédon et le musicien Blade MC Alimbaye, dans une mise en scène de Serge Tranvouez, excellent à faire entendre les échos contemporains.

Pour figurer le cachot où a été jetée l’Oubliée, une jeune esclave chabine, après avoir insulté son maître, un seul carré lumineux sur un plateau nu, plongé dans une pénombre que perce régulièrement la subtile lumière de Jean Tartaroli. C’est donc dans un lieu abstrait qu’évolue Laëtitia Guédon. Dans un « espace vide » proche de celui qu’a pratiqué et théorisé Peter Brook, où le corps et la parole de l’acteur créent seuls un monde où la distance avec le réel suscite à la fois regard critique et poésie. L’habitation martiniquaise du XIXe siècle décrite par Patrick Chamoiseau devient le lieu de tous les exils et de toutes les résistances. Car, loin de verser dans le pathos, Laëtitia Guédon irradie. Dans la douleur, son Oubliée puise une conscience d’elle-même et un langage singulier qui la fortifie.

Recréé (1) le 22 mai, jour de la commémoration de l’esclavage en Martinique, aux Plateaux sauvages, à Paris, ce Dimanche au cachot est à l’image de ce nouveau lieu de fabrique artistique dirigé par Laëtitia Guédon. Exigeant et généreux. Dans cet établissement culturel de la Ville de Paris situé à Ménilmontant, résultat d’une fusion entre le Vingtième Théâtre et le centre d’animation des Amandiers, le geste de la directrice a résonné comme un manifeste en faveur du métissage.

Lieu de pratique professionnelle et de transmission artistique, les Plateaux sauvages se veulent en effet carrefour de cultures différentes à travers les artistes accueillis en résidence et les temps forts qui ponctuent la saison. Chose d’autant plus précieuse que d’autres structures, à Paris et en banlieue, dédiées à l’émergence et à la création francophone sont contraintes de fermer. Comme la Loge, Mains d’œuvres et le Tarmac, où Un dimanche au cachot est programmé en cette fin de saison.

À travers le texte de Patrick Chamoiseau, Laëtitia Guédon et le musicien qui souligne discrètement son cri interrogent ainsi de manière implicite la place de l’artiste à l’époque de ce que l’auteur qualifie, dans son essai Écrire en pays dominé (1997), de « martyrs indiscernables ». Face au « monologue d’images occidentales fascinantes », le français créolisé de Patrick Chamoiseau habite la scène de toute sa force de questionnement du monde.

(1) En 2015, la pièce a d’abord été créée à Tropiques Atrium-Scène nationale de la Martinique.

Un dimanche au cachot, Le Tarmac, Paris XXe, 01 43 64 80 80. Les 11 et 12 juin.

Théâtre
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