Les cartes du diable

Dans une mise en scène imagée et dépouillée, Igor Mendjisky livre du Maître et Marguerite, de Boulgakov, une adaptation parfaite.

Gilles Costaz  • 23 mai 2018 abonné·es
Les cartes du diable
© photo : Pascal Gély

L e Maître et Marguerite est vraiment un roman qui déchire les ténèbres. À l’image du Dieu chrétien auquel Boulgakov croyait et en qui il trouva la force de résister sous Staline et d’écrire ce livre, sauvé et publié longtemps après sa mort. Peu de romans ont autant été adaptés au cinéma et au théâtre. En voilà une nouvelle transposition, qui se présente naturellement comme un combat entre l’obscurité et la lumière. Le spectacle du théâtre de la Tempête implante un univers nocturne éclairé par les lampions du music-hall : le monde se résume à un cabaret grotesque au centre duquel est vécue la souffrance d’un écrivain humilié et où la violence des pervers est transmise jusque dans les jeux avec le public.

Igor Mendjisky, qui est à la fois l’adaptateur, le metteur en scène et l’acteur jouant le double de Boulgakov (l’écrivain Ivan), a très habilement concentré cet énorme ouvrage. En fait, il y a deux auteurs dans le récit : cet Ivan, dont les manuscrits de théâtre sont refusés par la commission centrale avec de joyeux rires des censeurs, et le Maître, un romancier qui travaille à un livre sur Ponce Pilate. Soit les deux faces de Boulgakov, que son imagination, s’appuyant sur le Faust de Goethe, entraîne dans des péripéties cauchemardesques. Le diable, Woland, roi des tours de cartes, intervient sans tarder ; il manipulera la belle Marguerite et tous ceux qui n’obéissent pas aux diktats matérialistes et sont emmenés chez les fous.

La scène est carrée comme un ring, avec les spectateurs sur les trois côtés. Le public est provoqué par les ajouts de l’excellent acteur Romain Cottard, qui joue le diable : il invite les spectateurs à saisir des billets qu’il pose sur une chaise ou à venir danser. C’est cruel, presque trop. Mais, au cabaret des ténèbres soviétiques, la magie noire est toujours criminelle.

Igor Mendjisky a composé une soirée très imagée et en même temps dépouillée. Les acteurs se démultiplient, changent de rôle à la faveur de plongées dans l’obscurité et d’éclairs d’une seconde. À ce jeu, Mendjisky lui-même et Pierre Heissler sont particulièrement agiles, tandis qu’Esther Van den Driessche et Marc Arnaud incarnent dans une théâtralité secrète Marguerite et le second écrivain. Le chat qui court d’un chapitre à l’autre est joué avec bonhomie par l’acteur-chanteur Alexandre Soulié. La musique va du rock à la chanson sensible et à Tchaïkovski. Des projections d’images et de listes de noms s’amusent avec la symbolique des caractères cyrilliques.

Le spectacle – et c’est en cela qu’il confirme les qualités du metteur en scène, déjà repéré mais qui s’était laissé noyer par l’abondante matière de son précédent spectacle, Idem – travaille sur le minimal, le concentré et le précipité. Et cela donne la meilleure adaptation du roman que nous ayons vue.

Le Maître et Marguerite, théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, Paris, 01 43 28 36 36, jusqu’au 10 juin. Texte à L’Avant-Scène Théâtre.

Culture
Temps de lecture : 3 minutes