« Making », le vrai changement social

Trois sociologues analysent l’activité des tiers-lieux où l’on répare, transforme et produit. Une ouverture post-fordiste ?

Olivier Doubre  • 30 mai 2018 abonné·es
« Making », le vrai changement social
© photo : Vladimir Trefilov / Sputnik/AFP

Certains se souviennent sans doute de l’ouvrage novateur de Michel Lallement, sociologue et professeur au Conservatoire national des arts et métiers, qui, dans une riche enquête ethnographique menée au début des années 2010, avait défriché l’univers des makerspaces ou hackerspaces dans la Silicon Valley : L’Âge du faire. Hacking, travail, anarchie_ (1). Il y montrait la créativité et l’innovation d’un « nouveau modèle d’activité : le faire (make) », constitutif d’un univers où on peut croiser des start-up, de prestigieux centres de recherche ou des héritiers du mouvement social libertaire qui s’est développé à partir du fameux « Summer of love » de 1967 en Californie.

Makers. Enquête sur les laboratoires du changement social

Isabelle Berrebi-Hoffmann, Marie-Christine Bureau et Michel Lallement, Seuil, 352 p., 21 euros.

Depuis, le mouvement des makers ou, selon les dénominations et préférences de ses acteurs, des hackers (littéralement « bidouilleurs », trop souvent confondus avec les crackers, qui pénètrent et parfois détruisent des systèmes informatiques), s’est largement développé et a essaimé, au-delà de ce premier « creuset californien », à travers le monde, de l’Allemagne au Sénégal, des Amériques à la France. C’est l’objet de cette nouvelle enquête approfondie (longue de près de quatre ans) de Michel Lallement, associé cette fois aux sociologues du CNRS Isabelle Berrebi-Hoffmann et Marie-Christine Bureau, tous trois membres du laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Cnam-CNRS).

Les auteurs nous font plonger dans ces espaces qui « ressemblent davantage à des garages qu’à des laboratoires de pointe », souvent emplis d’objets divers, récupérés, déroutés, transformés ou créés de toutes pièces à l’aide d’outils classiques de bricolage mais plus souvent numériques, imprimantes 3D ou découpeuses laser. Qu’y « fabriquent » ces makers ? Aussi bien des maisons en kit à 10 000 dollars assemblables en deux jours que des pizzas, des tissus biologiques ou des prothèses, bien moins onéreuses que celles commercialisées aujourd’hui par les laboratoires pharmaceutiques…

Mais, au-delà de ces réalisations, c’est bien une révolution du modèle productif qui est à l’œuvre au sein de ces makerspaces, embrassant protection de l’environnement et transformation de la vie quotidienne ; promouvant « des formes inédites de fabrication », inspirées par « un principe de libre accès aux outils et aux savoirs », et des formes de coopération collective.

Si le capitalisme s’intéresse également à ces personal fabricators, ceux-ci entrevoient « l’opportunité de changer de civilisation »… et de tourner le dos à l’économie fordiste de production sérialisée d’objets, moyennant pollution et exploitation. Circuits courts, partage des connaissances et aide mutuelle forment une nouvelle culture en mutation permanente. Ce que relevait déjà en 2007 André Gorz, peu de temps avant sa mort (2) : « Les outils high-tech inexistants ou en cours de développement, généralement comparables à des périphériques d’ordinateur, pointent vers un avenir où pratiquement tout le nécessaire et le désirable pourront être produits dans des ateliers coopératifs ou communaux. […] Le travail sera producteur de culture et l’autoproduction un mode d’épanouissement »

(1) Seuil, 2015. Voir Politis du 26 février 2015.

(2) Ecologica, Galilée, 2008.

Idées
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