« Paradise Now » : Retour au paradis

Gwenaël Morin recrée Paradise Now, du Living Theatre, qui fit scandale au Festival d’Avignon de 1968. Une passionnante mise en perspective.

Anaïs Heluin  • 16 mai 2018 abonné·es
« Paradise Now » : Retour au paradis
© photo : Gwenael Morin

O n ne peut pas voyager sans passeport. » « Je ne suis pas autorisé à enlever mes vêtements »… À peine entrés dans le grand hangar du Théâtre des Amandiers, les spectateurs sont pris à partie par trente-cinq comédiens qui arpentent à la hâte l’espace vide. Comme des cris étouffés, les protestations qu’ils formulent tandis qu’on s’assoit sur le sol sont, pour certaines, d’une parfaite actualité ; pour d’autres, quelque peu datées.

Toutes issues de Paradise Now, du Living Theatre, ces singulières phrases de bienvenue indiquent d’emblée le parti pris de Gwenaël Morin dans Re-Paradise : son refus de toute actualisation de la pièce créée en 1968 au Festival d’Avignon, au profit d’une reconstitution la plus fidèle possible. Cela, dit-il, afin de mesurer « ce que produisent encore ou ne produisent plus aujourd’hui » les formes imaginées par la troupe américaine dirigée par Julian Beck et Judith Malina.

Comme hier au Théâtre des Carmes à Avignon, le public des Amandiers est invité à participer aux différents rituels qui forment la partition de Paradise Now. Sollicité par les artistes, il forme par exemple de petits « comités révolutionnaires ». Les plus aventureux vont jusqu’à joindre leurs caresses à celles des comédiens presque nus allongés au centre du plateau.

Bien sûr, les réactions ne sont pas celles d’il y a cinquante ans. À la violente division d’alors entre les « pour » et les « contre », qui valut à la compagnie l’intervention du maire d’Avignon et à Jean Vilar, directeur du Festival, de nombreuses critiques, fait place une adhésion générale mais sans excès, davantage tournée vers la réflexion que vers l’action. La pièce échappe toutefois au risque du muséal menaçant toute reconstitution d’une pièce créée dans un contexte politique précis. En l’occurrence, la guerre du Vietnam et le mouvement de Mai 68.

Programmé dans le cadre du festival Mondes possibles de Nanterre-Amandiers, qui invite « des créations dont le point commun est de défricher des territoires utopiques », Re-Paradise interroge les transformations du paysage théâtral depuis les expérimentations des années 1960-1970. Dans la ville où naquirent les « événements », célébrés ce mois-ci dans de nombreux théâtres, et dans l’établissement fondé par le pionnier de la décentralisation Pierre Debauche, l’événement prend d’autant plus de sens qu’il trouve parfaitement sa place dans la démarche de Gwenaël Morin.

Dans le « théâtre permanent » que celui-ci pratique depuis dix ans, dont six à la tête du Théâtre du Point du jour, à Lyon, avec le triple objectif de transmettre en continu, de répéter tous les jours et de jouer tous les soirs gratuitement, le metteur en scène partage avec le Living Theatre un désir de réinventer les formes du théâtre. Une envie d’imaginer un nouveau rapport au public, plus direct et plus libre.

La recréation de Gwenaël Morin pose ainsi la question des traces laissées par les avant-gardes des années 1950-1960 dans le paysage théâtral actuel. Habitués que nous sommes à la nudité sur scène, nous sommes avant tout sensible à la force du collectif qui se dégage de cette pièce et à la grande précision de ses tableaux. On y retrouve une énergie proche de celle qui anime certains collectifs nés dans les années 1980-1990, après plusieurs décennies de toute-puissance du metteur en scène. D’un mai à l’autre, Gwenaël Morin questionne ainsi le rapport des artistes aux normes et à l’institution. Leur capacité à créer encore de l’espoir.

Re-Paradise, les 18, 19, 25 et 26 mai au Théâtre de Nanterre-Amandiers, 01 46 14 70 00.

Théâtre
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