Trump dans la main des évangélistes

En transférant l’ambassade de son pays de Tel-Aviv à Jérusalem, le président américain donne un gage important à un groupe indispensable à son éventuelle réélection.

Alexis Buisson  • 23 mai 2018 abonné·es
Trump dans la main des évangélistes
© Donald Trump et le pasteur texan Robert Jeffress (ici à Washington en juillet 2017), qui a assisté à l’inauguration de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem.AFP/ Olivier Douliery/Consolidated POOL/dpa

U n grand cadeau pour les évangélistes », estime le journal juif américain Forward. « Une victoire pour la base chrétienne de Donald Trump », selon le New York Times… Quel que soit le média consulté ces derniers jours aux États-Unis, tous s’accordent sur un point : le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, inaugurée officiellement le 14 mai sur fond de violences dans la bande de Gaza non loin, est une belle faveur accordée aux évangélistes les plus conservateurs, qui s’activent en coulisses depuis des années pour permettre ce déplacement.

Il suffisait de voir la liste des 800 invités présents à la cérémonie d’ouverture pour se rendre compte du poids de ce groupe. Parmi la « centaine » d’évangélistes chrétiens recensés par le journal britannique Time, deux pasteurs texans – Robert Jeffress et John Hagee – avaient été conviés pour prononcer les bénédictions. Le premier, un baptiste du Sud proche de Donald Trump, a tenu dans le passé des propos controversés contre l’islam, le mormonisme, le catholicisme et même le judaïsme. Le second, qui préside un groupe pro-Israël, avait loué Adolf Hitler, dans des enregistrements qui ont refait surface pendant la campagne de 2016, pour avoir poussé les juifs à quitter leurs pays pour se retrouver en Israël.

Outre ces deux personnages sulfureux, on pouvait également apercevoir Paula White. Cette pasteure d’une méga-église pentecôtiste de Floride préside le comité consultatif évangéliste de Donald Trump, qui regroupe une trentaine de pasteurs, militants et responsables d’associations. Plusieurs juifs conservateurs participaient aussi à l’événement, dont Sheldon Adelson, un milliardaire qui a fait fortune dans le business des casinos. Ancien soutien de l’adversaire de Donald Trump pendant la primaire républicaine, Ted Cruz, il s’est converti au trumpisme pendant la campagne et a fini par devenir le plus grand donateur du candidat républicain, avec quelque 35 millions de dollars déboursés pour financer l’investiture du Président. Avec sa femme, Miriam, qui a donné, elle, 83 millions de dollars au Parti républicain en 2016, il fait partie des plus ardents défenseurs du transfert de l’ambassade américaine et a même proposé d’en financer partiellement le déménagement, selon l’agence Associated Press.

Cette ouverture marque l’aboutissement d’un lobbying exercé depuis plusieurs années par les leaders évangélistes et juifs conservateurs auprès des différents locataires de la Maison Blanche. « Du fait de leurs croyances théologiques et politiques conservatrices, les évangélistes sont très pro-Israël et parfois plus rigides que les juifs américains sionistes », explique Michael Kress, rédacteur en chef et fondateur d’un site sur le judaïsme, My Jewish Learning. « Dans la philosophie évangéliste, les juifs doivent établir un État juif, annonciateur de la fin des temps et du retour du Christ. Ils se convertiront ensuite au christianisme, même si ce point n’est pas toujours abordé publiquement. » Il ajoute que la montée en puissance des lobbys juifs orthodoxes à Washington ces dernières années a permis aux deux groupes religieux de mieux faire entendre leurs revendications sur Israël.

« L’évangélisme est un mouvement aussi vieux que le christianisme. Il y a toujours eu un groupe de personnes cherchant les signes de la fin des temps. La fondation d’Israël au XXe siècle a été vue comme un signal majeur, car le rassemblement des juifs en exil en Terre sainte est un prérequis pour que les événements du retour du Christ s’enclenchent. Alors, pour les évangélistes, le soutien à Israël est devenu une position politique très importante », ajoute Elizabeth Oldmixon, spécialiste des relations entre évangélistes et juifs radicaux et professeure à l’université de North Texas.

De fait, la ferveur autour d’Israël est très élevée chez les évangélistes, qui représentent un quart de la population américaine. Un sondage réalisé par LifeWayResearch en décembre 2017 montre que 80 % d’entre eux considèrent la création d’Israël comme la réalisation d’une prophétie divine. Un peu plus de la moitié des sondés assurent soutenir Israël car le pays « est important pour la concrétisation des prophéties bibliques », et 60 % parce que « la Bible dit que Dieu a donné la terre d’Israël aux juifs ». Israël bénéficie financièrement de cette passion. L’International Fellowship of Christians and Jews, une association qui réalise des programmes sociaux pour permettre aux juifs du monde entier d’aller s’installer en Israël, a indiqué au journal The Washington Post avoir reçu 1,5 milliard de dollars de la part de donateurs américains depuis sa création dans les années 1980. D’autres communautés évangélistes en dehors des États-Unis, connaissant un essor important, mettent aussi la main à la poche.

En raison de l’importance du vote évangéliste au sein du Parti républicain depuis les années 1980, Donald Trump pouvait difficilement résister à la tentation de leur faire des promesses. Pendant la campagne, il a affirmé devant l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), un influent lobby pro-israélien, son intention d’ouvrir l’ambassade états-unienne « dans la capitale éternelle du peuple juif, Jérusalem ». « Nous enverrons le signal clair qu’il n’y a pas de fossé entre les États-Unis et notre allié le plus solide, l’État d’Israël », a-t-il ajouté.

Les évangélistes le lui ont bien rendu. Malgré les comportements peu moraux dont le candidat a été accusé pendant la campagne, les évangélistes américains, composés pour les trois quarts de Blancs, ont voté pour lui à plus de 80 %, selon les sondages « sortie des urnes ». Les raisons : son discours pro-Israël, mais aussi ses prises de position favorables aux libertés religieuses et contre l’avortement. Malgré les turpitudes de la première année de mandat, dont un scandale sexuel impliquant une star du X et des déclarations mensongères quasi quotidiennes, cet électorat lui est resté largement fidèle : 75 % disent approuver l’action du Président – contre un peu plus de 40 % du pays dans son ensemble.

Le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem pourrait valoir à Donald Trump de devenir une icône chez les évangélistes les plus conservateurs, voire d’accéder à « l’immortalité politique », comme l’a déclaré le pasteur John Hagee. Mais il pourrait aussi avoir l’effet inverse chez les membres plus modérés et jeunes de cette communauté. Alors que les évangélistes de plus de 65 ans sont 76 % à déclarer avoir une bonne image d’Israël, 58 % seulement des 18-34 ans partagent cette opinion, toujours selon LifeWayResearch. Dans le même temps, 66 % des évangélistes de moins de 35 ans estiment que « les chrétiens devraient faire plus pour aimer le peuple palestinien et lui manifester de l’attention », contre 54 % des plus de 65 ans. Cette nouvelle génération d’évangélistes, plus progressiste, fait déjà entendre sa différence avec l’actuel locataire de la Maison Blanche sur d’autres sujets, comme la sortie annoncée des États-Unis de l’accord de Paris sur le climat.

Au-delà, le transfert de l’ambassade ne trouve pas beaucoup d’écho favorable dans l’électorat dans son ensemble. Seuls 31 % des Américains soutiennent cette mesure. Et la communauté juive américaine, plutôt favorable aux démocrates, y est majoritairement opposée aussi. « Sur le long terme, je ne suis pas sûre que cette décision sera bonne pour le Parti républicain, analyse Elizabeth Oldmixon. Mais elle nourrit certainement un fort niveau de soutien chez les leaders évangélistes de premier plan. Ce sera essentiel, alors que la confiance envers le Président chute au sein d’autres groupes. Autrement dit, cela contribue à consolider un plancher au-dessous duquel le soutien à Donald Trump ne peut pas descendre. »

Monde
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