« Instable », de Nicolas Fraiseau : La chute des corps

Autour d’un mât chinois, Nicolas Fraiseau interroge la fragilité de l’artiste et du monde.

Anaïs Heluin  • 26 juin 2018 abonné·es
« Instable », de Nicolas Fraiseau : La chute des corps
© Photo : Tomas Amorim

Le mât de Nicolas Fraiseau n’est pas de cocagne. Avec sa base aux allures de pied de parasol et ses deux barres à encastrer pour prétendre approcher le sommet du chapiteau, l’agrès du jeune circassien n’a en effet rien qui fasse miroiter des prouesses acrobatiques. Seul sur une piste aussi bricolée que son mât chinois, l’artiste issu de la promotion 2017 du Centre national des arts du cirque (Cnac) est en quête d’autre chose. Sans rien d’autre que ses trois pièces de métal et une autre en bois destinée à la cime de l’édifice, il cherche, dans Instable, à maîtriser le déséquilibre qu’il s’impose. Au centre de sa pratique, l’accident se fait art. La chute, exercice de méditation sur soi et sur l’époque.

Soutenu et mis en scène par Christophe Huysman, fondateur des Hommes penchés, Nicolas ­Fraiseau partage avec cette compagnie un goût pour le questionnement et la fragilité. Comme avec le collectif Ivan Mosjoukine, dont la création De nos jours (Notes on the Circus) (2012) avait marqué le paysage du cirque de ces dernières années. Comme Fragan Gehlker et Alexis Auffray dans Le Vide (2014), où un acrobate revisitait sur sa corde lisse le mythe de Sisyphe. Ce qu’ose Fraiseau, c’est réduire au minimum cette esthétique du vide. De tendre vers le point où le cirque s’annule face à la méditation et à la pensée.

Bâtisseur d’une unique tige métallique qui ne cesse de se dérober à son acharnement, Nicolas Fraiseau est un artiste de l’absurde. En jouant son propre trébuchement, il dit l’inquiétude de l’époque et la nécessité de la joie. Né du rêve « d’accrocher un mât sur une ligne presque invisible qui était un fil de fer », Instable interroge la verticalité. Il met en scène la conquête quotidienne de la marche et, sans un seul mot, sonde le besoin de repères et de mythes qui caractérise l’homme. Avec presque rien, Nicolas Fraiseau dit la coexistence de la peur et du courage. La beauté du jeu.

Instable, 1er juillet, Festival des 7 collines, Saint-Étienne ; 26 juillet, Festival Cirko Vertigo, Turin ; en octobre, Académie Fratellini, Saint-Denis ; en mars 2019 au Festival Spring et aux Subsistances à Lyon (dates à venir).

Théâtre
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