Les petits pas de Génération·s

Il y a un an, Benoît Hamon lançait son mouvement. Dans les comités, on prépare le premier congrès, prévu pour fin juin.

Agathe Mercante  • 20 juin 2018 abonné·es
Les petits pas de Génération·s
© photo : Stéphane ROUPPERT/CrowdSpark/AFP

Champagne, vin et biscuits apéritifs trônent sur la table basse. À Dunkerque, dans un appartement du quartier bâti sur les anciens chantiers navals, une douzaine de membres de Génération·s se réunissent en ce venteux mardi de mai. « On a l’impression qu’à gauche c’est l’année zéro », glisse l’un d’eux. Alors que le mouvement approche, dans les faits, de son premier anniversaire, sabrer le champagne semble prématuré. Hormis la France insoumise, qui surfe sur le score de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, la gauche ne fait que surnager depuis la déferlante Macron, et Génération·s ne fait pas exception.

Lancé le 1er juillet 2017 à la suite de la lourde défaite de Benoît Hamon au premier tour, puis de son divorce d’avec le PS, le mouvement a fait du chemin. Fier d’un premier rassemblement le 2 décembre 2017 au Mans et d’un changement de nom, Génération·s – anciennement « M1717 » – s’apprête désormais à tenir sa première convention.

Rendez-vous est pris du 30 juin au 1er juillet dans une salle de spectacles de Grenoble, le Summum, où quelque 1 500 des 60 000 membres revendiqués par le mouvement sont attendus. Le choix de la capitale iséroise ne doit rien au hasard. N’a-t-elle pas pour maire l’écologiste Éric Piolle, dont la candidature aux municipales de 2014 avait été décidée par des citoyens rassemblés en collectif, à partir des noyaux associatifs écolos, mais aussi de locataires ou de parents d’élèves ? Cette méthode de désignation par les citoyens, Benoît Hamon a voulu s’en inspirer. Car, à Génération·s, ce sont avant tout les comités locaux qui planchent sur la construction de la nouvelle entité politique.

Depuis le discours du 1er juillet 2017 à Paris, dans lequel Benoît Hamon appelait ses soutiens à se constituer en comités, 850 ont poussé partout en France. Pages Facebook, Twitter… Les sympathisants se retrouvent via les réseaux sociaux. De la Bretagne à la Lorraine en passant par le Nord et le Sud-Ouest, ces comptes, diversement alimentés, reflètent la diversité des profils et des opinions de ces membres 2.0. Seul point commun à tous : le logo « G », symbole du mouvement.

Dans le Val-de-Marne, à Alfortville, le groupe compte une cinquantaine d’inscrits via la plateforme du site Internet de Génération·s. « Dans les faits, nous ne sommes qu’une quinzaine à être adhérents actifs », note Étienne Fillol, fondateur du comité. Ce ratio d’un tiers, tous les comités le constatent, qu’ils ne soient qu’une dizaine, comme à Vannes, ou plus de 80, à Dunkerque.

Adhérents, militants et sympathisants : c’est sur ce point particulier qu’ont planché les recrues d’Alfortville, un lundi du mois de mai. Un document préparatoire leur a été envoyé. Rédigé par le « conseil des membres », un organe composé de 30 adhérents tirés au sort, il propose plusieurs définitions. Cotisation libre, cotisation obligatoire, double appartenance, courants… toutes les options sont mises sur la table. Les militants sont invités à indiquer leurs préférences via un questionnaire en ligne. Les résultats seront révélés à Grenoble.

Mais, sur ces questions – comme sur toutes les autres –, il y a autant d’avis que de sympathisants de Génération·s. Alors que les membres du comité d’Alfortville, surtout des primo-militants, s’interrogent sur la transparence en politique et les modes de désignation de leurs représentants, à Dunkerque, qui compte de nombreux élus locaux et syndicalistes, la question de la structuration du groupe à l’échelle locale en vue des prochaines élections est au cœur des -discussions.

« L’engagement est une première pour 70 % de nos adhérents », affirme Hadrien Bureau, membre de la direction, coanimateur du pôle idées. Sans surprise, les 30 % restants ont suivi dans leur grande majorité la même trajectoire que Benoît Hamon. « Le Parti socialiste est mort, il ne produit plus d’idées », estime non sans amertume Nozha El Kassmi, cofondatrice du comité de Dunkerque. Un temps pressentie pour être la candidate socialiste de la treizième circonscription du Nord, cette militante du PS depuis les années 1990 a pourtant quitté ce parti à la rentrée 2017. Autour d’elle, même constat. Mais, outre les déçus du précédent quinquennat et du PS, les comités comptent aussi dans leurs rangs des membres ou des sympathisants d’Europe écologie-Les Verts.

De fait, s’il fallait trouver une colonne vertébrale à Génération·s, ce serait l’écologie, indique-t-on au sein de l’équipe nationale. Sur le terrain, pourtant, la problématique n’apparaît qu’en deuxième place, après le travail et ses évolutions. « Nous nous retrouvons dans les propositions développées durant la campagne présidentielle, sur le revenu universel ou encore la taxe robot », détaille Étienne Fillol.

Justice sociale, éducation, renouveau des pratiques politiques… S’ils fondent leurs réflexions sur le programme élaboré par l’ex-candidat du PS, les adhérents développent aussi de nouvelles sensibilités. « Dans le Val-de-Marne, nous sommes très mobilisés sur l’accueil des migrants, indique le fondateur du comité d’Alfortville. Nous sommes très choqués par la loi asile et immigration, et par les pratiques policières. »

Humanistes et fédéralistes à l’échelle européenne, les membres de Génération·s se définissent volontiers comme des progressistes. « Sans surprise, nous avons un public relativement féminin, entre la trentaine et la quarantaine, détaille Hadrien Bureau. Les adhérents viennent d’être parents et s’inquiètent du monde qu’ils laisseront à leurs enfants. » Ils sont donc en recherche de sens, de perspectives politiques viables. « De tous, Benoît Hamon est le seul homme présent sur la scène politique à avoir une vision d’avenir », confirme Clara, fondatrice du comité de Sciences Po-Aix-en-Provence. Mais, après avoir rendu visite aux universités françaises, le fondateur du mouvement doit encore élargir et diversifier la liste de ses sympathisants. « Les adhérents sont majoritairement blancs, urbains et diplômés », concède Hadrien Bureau.

Parmi ceux déjà acquis à la cause, le soutien est total. Qu’on l’appelle simplement « Benoît » ou que l’on prononce encore son nom de famille, dans les comités, l’appréciation de l’ancien candidat à la présidentielle frôle par endroits l’adoration. « C’est vrai qu’il est sympathique, le genre de personne avec qui on aimerait discuter autour d’une bière », reconnaissait il y a peu Sandra Regol, porte-parole d’EELV. Et la base de Génération·s lui donne raison, tel cet adhérent du comité de Dunkerque : « Il n’est pas l’homme providentiel, mais il est l’addition des sensibilités. Il a la capacité de mettre les gens en action, sans précipitation. » « La force tranquille », plaisante un autre. « S’il plaît tant, c’est pour son authenticité », renchérit Hadrien Bureau.

Une authenticité pourtant loin de l’image de « présidentiable ». « C’est un pari », confirme Hadrien Bureau, qui constate pourtant : « Il a beaucoup gagné en stature, et ces choses-là prennent du temps ». Et de tacler : « Jean-Luc Mélenchon, ça lui a pris quinze ans. »

Cependant, pour atteindre le degré d’organisation de la France insoumise, la route est encore longue. Vue de l’extérieur, la construction de Génération·s comme entité politique paraît difficile. De l’intérieur, aussi. D’accord sur les grandes lignes, les comités avancent à tâtons. Plusieurs cas de désaccords majeurs ont été recensés, à Aix sur la question du système d’orientation post-bac Parcoursup, ou encore à Niort, où deux comités cohabitent plus ou moins paisiblement. « Nous sommes très attentifs à ces dissensions », assure Hadrien Bureau. Pourtant, de l’avis des adhérents, la direction nationale est discrète, trop discrète. « Nous avons des contacts, mais pas vraiment de soutien ni d’accompagnement dans notre construction », déplore la jeune fondatrice du comité étudiant d’Aix.

Cette absence d’intervention, on l’explique par l’horizontalisme politique dont se réclame le mouvement : la démocratie est l’affaire de tous, Génération·s doit être construit par tous. « Je comprends l’inquiétude des -comités, note l’eurodéputé Guillaume Balas. Le fait d’imposer notre vision à tous n’est pas dans notre ADN. »

Entre responsabilisation des comités et désorganisation générale, la frontière est mince et la direction nationale de Génération·s marche sur un chemin de crête. À l’occasion de la manifestation unitaire du 26 mai, autrement connue sous le nom de « Marée populaire », les comités en ont fait l’amère expérience. Ainsi, pour éditer banderoles, tracts et autres drapeaux, les membres ont dû mettre la main au portefeuille. « Un de nos adhérents tient une imprimerie, nous sommes allés imprimer les tracts chez lui », confie Nozha El Kassmi, de Dunkerque. Un système D pénible, d’autant que les comités ne sont pas autorisés à se constituer en associations, ce qui leur interdit de se constituer une trésorerie en bonne et due forme. « On a recours aux dons, aux campagnes de crowdfunding », explique Étienne Fillol, du comité d’Alfortville.

Le manque d’argent touche aussi de plein fouet la direction nationale, qui ne compte qu’un seul salarié. Pour se constituer une trésorerie, Génération·s n’a guère d’autre choix que d’espérer des élus. Élections européennes en 2019, municipales en 2020… Les prochaines échéances revêtent une importance capitale pour la suite du mouvement.

Les militants s’interrogent néanmoins sur les personnalités et candidats à présenter. Conformément à la volonté de la direction nationale, qui ne souhaite pas voir les comités et leurs fondateurs détenir une importance à l’échelle régionale, les groupes locaux sont nombreux et circonscrits à quelques dizaines de têtes. Pas de quoi mettre en lumière d’hypothétiques candidats, dont la notoriété permettrait une victoire aux élections. « À force de craindre les baronnies, comme ce fut le cas au PS, on préfère se passer de têtes… Comment pourrons-nous gagner ? » demande Étienne Fillol.

« Au lendemain de la convention, tout cela rentrera dans l’ordre », assure Hadrien Bureau, qui espère rassurer les comités à cette occasion. « Notre mouvement est encore très jeune », plaide pour sa part Guillaume Balas à l’adresse des impatients. Mais encore faudrait-il que les adhérents aient la possibilité de s’y rendre. « Niort-Grenoble est une grande expédition, difficile à mener pour des personnes actives ou aux revenus modestes », déplorent les membres de l’un des comités de Niort.

Si le site Internet de Génération·s leur dispense des conseils pour s’organiser pour la location de bus et recommande plusieurs hôtels, il n’est pas certain que tous les comités aient les moyens de venir. « On crève du manque d’argent », se désole Étienne Fillol, d’Alfortville. Si ce rendez-vous, très attendu, peut sans doute permettre d’apaiser les craintes des adhérents, il n’est pas sûr qu’à table on serve du champagne.

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