Africains de tous les pays…

L’histoire des révoltes noires du Caribéen C.L.R. James est traduite pour la première fois en français.

Olivier Doubre  • 25 juillet 2018 abonné·es
Africains de tous les pays…
© photo : Marcus Garvey prônait le retour en Afrique des Noirs d’outre-Atlantique. crédit : Photo12/Ann Ronan Picture Library/AFP

Les éditions Amsterdam avaient déjà traduit, il y a quelques années, le maître ouvrage de Cyril Lionel Robert James (1901-1989) (1), Les Jacobins noirs, histoire marxiste (publiée en 1938) de la révolution haïtienne conduite par Toussaint Louverture, épisode majeur selon l’auteur de la lutte anticoloniale. La même année, il publiait aussi History of Negro Revolt, à laquelle il ajouta, trente et un ans plus tard, un long « épilogue », intitulé Histoire des révoltes panafricaines (1939-1969), qui donna son titre à une nouvelle édition, aujourd’hui traduite pour la première fois en français.

Ce nouveau titre reflète l’essor, en cette fin des années 1960, du mouvement panafricain, volonté d’unité des pays africains pour lutter contre le colonialisme et le néocolonialisme. Surtout, l’historien actualise son livre en y incluant les luttes « décoloniales », avec pour projet d’écrire une « histoire populaire des Africains et des afrodescendants ». Et de montrer que, grâce à une organisation politique structurée, « aux antipodes du mythe du “Noir docile”, révoltes et révolutions ont fortement marqué l’histoire » de ceux-ci, en Afrique, aux Caraïbes ou dans les Amériques, notamment aux États-Unis.

Le travail de C.L.R. James se veut ainsi une entreprise ambitieuse d’écriture d’une « histoire noire (révolutionnaire) occultée », mais aussi de « réécriture de l’histoire du monde depuis les marges des empires coloniaux », comme l’explique le philosophe Matthieu Renault dans sa passionnante postface. James va ainsi consacrer de nouveau un chapitre à la révolution à Saint-Domingue/Haïti, un autre aux luttes des esclaves dans « les anciens États-Unis », avant de s’arrêter plus longuement sur la guerre de Sécession, où il montre le rôle fondamental des mouvements de Noirs en lutte contre l’esclavage, loin de se montrer passifs et marginaux à côté des abolitionnistes blancs du Nord.

Enfin, James retrace bon nombre des révoltes en Afrique secouant le joug des empires coloniaux européens, et celles des mouvements noirs des années 1920 et 1930, alors que se développe notamment le mouvement de Marcus Garvey, prônant un retour en Afrique des Noirs d’outre-Atlantique. James en souligne l’importance dans le sens où il survient en réaction à la ségrégation, qui a succédé à l’esclavage et « a donné aux Noirs américains la conscience de leurs origines africaines ».

Marxiste antistalinien, dialoguant souvent avec Trotski, couplant l’analyse des rapports de force raciaux et celle des rapports de classes, James voit en l’histoire un enjeu majeur en tant que « meilleure préparation à la politique, quand c’est le bon type d’histoire ». Aussi Matthieu Renault peut-il à bon droit affirmer que « l’œuvre de James suggère que la tâche la plus urgente, et la plus ardue sans doute, est bien plutôt de forger une philosophie non eurocentrique de l’histoire ».

(1) Lire aussi l’article sur Paul Robeson.

Histoire des révoltes panafricaines, C.L.R. James, traduit de l’anglais par Véronique Samson, préface de Selim Nadi, postface de Matthieu Renault, Amsterdam, 152 p., 15 euros.

Idées
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