Le cocktail génois du capitalisme actuel

Dans l’avenir, la probabilité de tragédies analogues à celle du pont de Gênes, le 14 août, va augmenter dangereusement.

Mireille Bruyère  • 29 août 2018 abonné·es
Le cocktail génois du capitalisme actuel
© photo : Mauro Ujetto / NurPhoto / AFP

Qui est responsable de l’effondrement du viaduc autoroutier de Gênes ? Le gouvernement italien accuse la société gestionnaire, Autostrade per l’Italia (Aspi) ; la conception du pont par l’ingénieur Morandi est critiquée ; les citoyens dénoncent le laxisme de l’État. L’enquête pénale établira les responsabilités légales. Mais, au-delà, les facteurs en jeu dans cette tragédie sont les grands marqueurs du capitalisme actuel : collusion entre l’État et les entreprises privées ; financiarisation de ces dernières ; rationalisation du travail par l’automatisation ; globalisation des chaînes de production entraînant une hausse constante du trafic. Ces quatre facteurs ont agi de concert pour conduire à la fragilisation du pont Morandi.

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Les conditions de la privatisation des autoroutes (commencée dans les années 1990) sont largement à l’avantage des entreprises. Les prix de cession sont notoirement bas, car ils sous-estiment la forte croissance du trafic routier, donc du chiffre d’affaires, et les clauses de protection des usagers sont peu contraignantes. Ces sociétés se trouvent de fait dans une situation de monopole, et leur proximité avec les services de l’État (pantouflage, conflits d’intérêts) a neutralisé la supervision de ces concessions.

Ces entreprises sont aussi cotées en Bourse. Les conditions sont donc optimales pour accroître de manière vertigineuse leur rentabilité. Sans concurrence, les prix augmentent fortement (1) et les chiffres d’affaires explosent : + 44,1 % en France de 2005 à 2013. Parallèlement, les investissements sont faibles et même en diminution. De surcroît – en France comme en Italie –, une grande partie de ces investissements va, non pas à l’infrastructure et à la sécurité, mais à l’automatisation des péages, faisant ainsi baisser l’emploi.

Enfin, à la faveur de la mondialisation, les trafics routiers et maritimes augmentent. Gênes est un des vingt premiers ports européens de porte-conteneurs, une interface hyperefficace entre les flux maritimes et les bassins de production et de consommation de l’Europe du Sud desservis par l’autoroute, du fait de la faiblesse de l’infrastructure ferroviaire. La culbute est démesurée, les taux de rentabilité (2) sont proches de 70 %, alors que la moyenne sur les marchés financiers est plus proche de 15 %. Et ces rentes sont protégées par des contrats de concession longs ! Des superprofits garantis : les actionnaires se ruent, le cours de l’action Aspi passe de 14 euros en 2013 à 25 euros juste avant l’effondrement du pont.

Ce cocktail génois (globalisation outrancière, faibles investissements, laxisme politique, rationalisation et superprofits) est celui du capitalisme. Ainsi, rien n’interdit de penser que, dans l’avenir, la probabilité d’autres tragédies de ce type va augmenter dangereusement.

(1) + 25 % entre 2008 et 2016 en Italie et + 31 % entre 2005 et 2013 en France.

(2) Ratio profit/chiffre d’affaires.

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