Uri Avnery, une grande voix de courage et de lucidité

Le journaliste et militant pacifiste israélien, défenseur d’une solution à deux États, portait en lui toute l’histoire de son pays.

Denis Sieffert  • 29 août 2018 abonné·es
Uri Avnery, une grande voix de courage et de lucidité
© photo : Jack Guez/AFP

Jusqu’au bout Uri Avnery aura tenté d’instiller de l’intelligence dans une politique israélienne qui en manque si cruellement. Dans un article du 21 juillet publié sur son site, Gush Shalom, il suggérait d’abolir le blocus qui étouffe Gaza. Il préconisait que l’on construise « un vrai port à Gaza ville » ainsi qu’un aéroport, et que l’on permette « un libre-échange sous une sorte d’inspection militaire », autorisant les travailleurs à « trouver un emploi en Israël ». Il rêvait que l’on fasse de Gaza « une autre Singapour ». Délire idéaliste ? Oui, si l’on compare ce programme à la politique du gouvernement Netanyahou, qui fait tirer sur les manifestations pacifiques. Non, si l’on veut bien s’élever au niveau de l’histoire.

Uri Avnery, journaliste et militant pacifiste, qui vient de disparaître à près de 95 ans, portait l’histoire en lui. Né allemand en 1923, il avait émigré dans la Palestine mandataire avec sa famille au moment de l’accession d’Hitler au pouvoir. À 15 ans, il avait rejoint le groupe sioniste terroriste Irgoun. À 25 ans, il était pilote de chasse. Mais il avait rapidement pris conscience de la réalité palestinienne, niée par la propagande sioniste. À 27 ans, il se lance dans le journalisme d’investigation à la tête de son hebdomadaire, Haolam Hazeh. Dès lors, le journaliste et le militant pacifiste ne feront plus qu’un. « Avant lui, raconte son ami Michel Warschawski, le journalisme était synonyme de propagande, de soutien inconditionnel au consensus défini par le pouvoir. Haolam Hazeh va oser dire ce que tout le monde cachait et dévoilera les grandes affaires que la censure – omnipotente à cette époque – essayait de cacher. » Uri Avnery n’a que faire des interdits. Dès 1964, il entre en contact avec l’OLP. Et en 1982, comble du défi, il interviewe Yasser Arafat, devenant, comme par contagion, « ennemi » de la nation. En 1994, il fonde le Gush Shalom (« Bloc de la paix »). Il ne cesse de militer pour la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël.

Uri Avnery était peut-être, à sa façon, le meilleur défenseur d’Israël. Il voyait trop, et depuis si longtemps, que, faute d’une solution à deux États, ce pays marchait inexorablement vers une situation d’apartheid, « lorsqu’une large minorité juive dominera une majorité arabe ». Mais « pour combien de temps ? » s’interrogeait-il dans son avant-dernier article. Et il répondait : « Une génération, deux, trois ? » L’histoire, toujours l’histoire, avec cette vision qui fait défaut à M. Netanyahou et à ses « ministres stupides » qui n’ont qu’un seul objectif : « l’annexion rampante de la Cisjordanie ». Uri Avnery disparaît au moment où la solution à deux États paraît plus compromise que jamais et alors qu’une loi d’apartheid vient d’être adoptée. Israël perd une de ses grandes voix de courage et de lucidité, devenues si rares dans ce pays.

Idées
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