Pierre Rosanvallon, l’égalité égarée
L’historien et sociologue revient sur son parcours depuis 1968 et l’histoire de la gauche française. Un portrait intellectuel et politique de ses engagements, errements, ruptures et repentirs.
dans l’hebdo N° 1518 Acheter ce numéro

Au cours de l’automne 1977, Pierre Rosanvallon, qui fut (selon ses propres mots) l’un des « intellectuels organiques » de la « deuxième gauche », et de la CFDT, au premier chef en tant que très proche conseiller d’Edmond Maire, fait un déplacement dans la ville minière de Decazeville (Aveyron). Se préparent alors les élections législatives de 1978, qui, en dépit de la rupture toute récente du Programme commun (signé en 1972 entre le PS, le PCF et les radicaux de gauche), laissent espérer une victoire de la gauche. Pierre Rosanvallon vient y présenter Pour une nouvelle culture politique, écrit avec Patrick Viveret, son ami et alter ego auprès de Michel Rocard. En tant qu’ouvrage presque programmatique de la deuxième gauche, son livre occupe beaucoup des débats intellectuels et politiques à l’époque.
L’auteur enchaîne alors réunions avec des militants et rencontres publiques en librairie. Juste avant des interviews avec des journalistes locaux, le responsable départemental du PS lui glisse : « Surtout, si on te pose une question sur l’avenir de la mine, dis bien qu’un pouvoir de gauche ne la fermera jamais ! » Et Pierre Rosanvallon de concéder d’emblée : « C’était une question dans l’air, et je savais bien que c’était une promesse qui ne reposait sur rien. » La question n’a évidemment pas manqué, l’intellectuel étant alors fixé, droit dans les yeux, par le responsable socialiste. « J’ai répondu avec assurance que la gauche la maintiendrait évidemment en activité. Le seul fait de venir de Paris donnait alors une forme d’autorité à la parole, et tout le monde avait donc été satisfait de ma ferme réponse. Mais je l’ai prononcée tout en ayant immensément honte et en me jurant