France insoumise : Les risques de la colère

Après la vague des perquisitions, le mouvement cherche à clore la séquence marquée par les coups de gueule tous azimuts de Jean-Luc Mélenchon, et à reprendre la main sur le débat politique.

Agathe Mercante  • 24 octobre 2018 abonné·es
France insoumise : Les risques de la colère
© photo : Eric FEFERBERG/AFP

À dispositif d’ampleur, réponse de circonstance. Alors que les policiers de l’Office central de lutte anti-corruption effectuaient une quinzaine de perquisitions chez Jean-Luc Mélenchon et dans son entourage le 16 octobre, le leader de la France insoumise a répondu par une énorme colère. Si tonitruante qu’il est encore difficile d’en mesurer les conséquences, potentiellement dévastatrices. Les scènes de violence pendant la fouille du siège du mouvement ont été captées par des caméras de télévision, puis massivement diffusées et commentées. Immédiatement, la France insoumise a dénoncé la main du pouvoir macronien – Adrien Quatennens, député insoumis du Nord : « C’est plus du ressort d’une opération antiterroriste ou de la brigade antigang que d’une affaire politique. » Les insoumis ont dénoncé une opération commandée par le parquet de Paris, en soulignant qu’il reste sous tutelle du ministère de la Justice. Et fustigé le nombre de policiers dépêchés partout en France – plus d’une centaine – et la saisie d’une part non négligeable de données…

Opération de déstabilisation d’un parti d’opposition ? Piège politique dans lequel les insoumis se sont, bien malgré eux, engouffrés ? Toujours est-il que 76 % des Français désapprouvent le comportement du leader des insoumis lors des perquisitions (1). « Je ne demande pas qu’on excuse cette colère, mais qu’on la comprenne », plaide Adrien Quatennens. Aux motifs des deux enquêtes préliminaires – l’une sur de présumés emplois fictifs des assistants parlementaires européens, l’autre sur les comptes de la campagne de 2017 – Jean-Luc Mélenchon a répondu, vendredi 19 octobre, lors d’une conférence de presse : « Nous sommes des gens honnêtes ! »

Une manière, espèrent les insoumis, de clore la séquence politique et d’en démarrer une nouvelle, construite cette fois autour d’une défense mesurée et argumentée contre « les méthodes de la Macronie » et d’un retour au combat politique. Les élections européennes n’arrivent-elles pas à grands pas ? « Il nous faut sortir de ce flot d’informations qui joue sur le registre émotionnel et reparler du fond politique », préconise en ce sens Loïc Prud’homme, député de la Gironde. Difficile, pourtant, de passer l’éponge sur les derniers événements. « Ça ne pourra pas ne pas avoir d’impact, prévient Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop. La base programmatique de La France insoumise pourrait se retrouver au mieux parasitée, au pire cannibalisée par ces affaires. » Pire encore, l’image de Jean-Luc Mélenchon pourrait être durablement écornée. « Pour les Français, ces scènes marquent le retour du “bruit et de la fureur” », explique Frédéric Dabi. La stature de présidentiable, durement acquise lors de la campagne de 2017, serait alors atteinte ? « Un présidentiable, c’est quelqu’un qui est lisse, ne dit jamais un mot plus haut que l’autre, qui se couche ? Non, c’est un homme qui s’énerve et qui s’oppose sans reculer », rétorque Loïc Prud’homme. « Ça peut effrayer les éditorialistes ou certains électeurs bien-pensants », explique-t-il, mais pas ceux de la France insoumise.

L’inquiétude ne transparaît donc pas dans le discours des insoumis. Certains indiquent toutefois avoir été sollicités par les militants, parfois pour déplorer le comportement de leur leader. « Beaucoup d’entre eux me disent que nous avons eu raison de ne pas nous laisser faire », indique pourtant l’élu de Gironde. Vrai pour certains. Mais pas pour tous. Allié de fraîche date, l’ancien socialiste Emmanuel Maurel note avoir, lui aussi, été interpellé. L’eurodéputé, qui a annoncé son départ du PS le 12 octobre, ne cache pas sa surprise quant au calendrier de ces perquisitions. « Ceux qui pensent et affirment que ce n’est pas calculé sont naïfs, dit-il. Une telle opération ne peut pas avoir lieu sans que le ministère de la Justice et celui de l’Intérieur ne soient au courant. »

« La vapeur s’inversera, les responsables de cette tentative d’intimidation vont voir les choses se retourner contre eux », promet Adrien Quatennens. Et pour inverser la vapeur, les insoumis vont avoir besoin de soutiens. La majorité des groupes de gauche l’ont déjà témoigné – à l’exception du Parti socialiste et d’Europe écologie-Les Verts. « C’est dommageable », déplore Frédérick Genevée, membre du comité exécutif national du PCF, et signataire d’une motion plaidant pour un rassemblement à gauche incluant la France insoumise. Il prédit : « Si la France insoumise est détruite, on prend pour trente ans de droite et de libéralisme. »

(1) Baromètre Opinion Way/LCI du 20 octobre 2018.

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