Yolande Moreau : « L’Europe perd son âme »

Signataire du Manifeste pour l’accueil des migrants, Yolande Moreau s’indigne de la lâcheté des politiques face à la rhétorique d’extrême droite.

Jean-Claude Renard  • 10 octobre 2018 abonné·es
Yolande Moreau : « L’Europe perd son âme »
© photo : LOIC VENANCE/AFP

En 2015, elle signait l’Appel des 800 pour résoudre la situation des migrants dans la jungle de Calais. L’année suivante, elle réalisait son premier documentaire, Nulle part, en France, pour Arte, afin de relater les conditions de vie à Calais et à Grande-Synthe, documentaire porté par un texte à l’âpreté poétique sublime de Laurent Gaudé. La comédienne Yolande Moreau (1) s’est ralliée au Manifeste pour l’accueil des migrants, non sans amertume ni colère devant une situation devenue « insupportable ».

Quatre ans après votre documentaire à Calais et à Grande-Synthe, quel souvenir en gardez-vous ?

Yolande Moreau : J’en garde surtout le souvenir d’un contact avec les personnes, de relations fortes avec les migrants, comme Haoré, kurde, l’un des personnages du film, et les associations. Nous étions au cœur des camps, avec une petite équipe de tournage. Mais ce que c’est devenu est encore pire qu’avant – et insoutenable.

Êtes-vous retournée à Calais depuis ?

Non, je n’y suis pas retournée, mais j’observe régulièrement ce qui se passe à Calais et à Grande-Synthe ; je suis Damien Carême, le maire de cette ville, dans ses démarches, l’actualité du camp de Grande-Synthe, ce qui s’est produit quand il a flambé, ce qui arrive depuis… Il faut savoir qu’on vous empêche maintenant de donner à manger aux migrants ! C’est épouvantable.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la situation ?

Ce qui m’effraie, et c’était déjà le cas à l’époque du documentaire, c’est la montée toujours plus forte et angoissante des extrêmes droites un peu partout en Europe – une Europe qui se ferme de plus en plus. J’admets que ça ne doit pas être facile pour les politiques, mais je ne supporte plus de les entendre parler sur un ton condescendant. Le cas de l’Aquarius, qu’on empêche d’accoster, en est un exemple. C’est tellement monstrueux ! On vit une époque du chacun pour soi. Au nom de quoi l’humain est-il toujours relégué ? C’est insupportable. Surtout en sachant que la France a accueilli si peu de migrants… On en fait des choux gras à chaque accueil, alors qu’en réalité cela reste ridicule. Bien sûr, il y a beaucoup de réfugiés, et il y en aura toujours plus, mais ce que propose l’Europe n’est pas une solution. À quoi sert-il de construire des camps qui coûtent une fortune plutôt qu’un accueil ? C’est toujours la peur qui prime, la peur qui domine.

Vous êtes-vous impliquée différemment pour l’accueil des migrants ?

Pas d’une manière directe, sinon avec Haoré. J’ai justement essayé de monter une structure d’accueil pour lui et d’autres dans mon village de l’Eure, avant qu’il ne parvienne finalement à gagner l’Angleterre. Mais je reste en contact permanent avec lui.

Quelle est votre réaction quand une réunion européenne est convoquée pour la réception de seulement 58 migrants à partager en Europe, comme cela a été le cas la semaine dernière ?

C’est d’un ridicule incroyable ! Une comptabilité absurde. La gestion est sans doute difficile, avec beaucoup de mécontents. Mais, s’il y a des mécontents, c’est qu’on entretient la peur des autres. Mais de là à tenir une réunion pour accueillir 58 personnes ! Rien ne se met en place qui soit à la hauteur, avec une belle énergie pour déterminer ce que l’on peut faire. Débloquer des milliards pour que la Turquie construise des camps qui ne sont plus provisoires mais faits pour durer, à quoi ça rime ? On ne peut être que scandalisé, comme le sont beaucoup de personnes qui se mobilisent. Il existe sûrement des moyens pour mieux accueillir, mais les politiques et certains médias entretiennent cette peur de l’autre.

Peut-on parler de faillite démocratique et humanitaire ?

Complètement ! L’Europe perd son âme. À vrai dire, comme j’ai pu le lire dans un journal, « la crise migratoire n’existe pas, c’est une crise de solidarité ».

« L’humanisme, ce n’est pas le bon sentiment », a déclaré Emmanuel Macron à l’ONU. Quelle est votre réaction ?

Mais qu’est-ce que le « bon sentiment » pour lui, alors ? Ça veut dire qu’il ne faut pas prendre le problème par là ? De quel côté alors ? En attendant, il y a des gens qui meurent noyés, qui vivent des situations insupportables dans leur pays. Dans ce contexte, c’est quoi l’humanisme ? Il me fait rigoler, là ! Ce qui m’afflige, sans tomber dans une culpabilité de catholique, c’est que nous avons construit une nation sur le dos d’un tas de pays, sur les richesses de l’immigration. Et d’un seul coup, quand il s’agit d’accueillir des personnes, c’est trop, nous devons fermer nos portes !

(1) Yolande Moreau est aujourd’hui à l’écran du nouveau film de Benoît Delépine et Gustave Kervern, I feel good.

Société
Temps de lecture : 4 minutes

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